Le dossier des racketiciels, ces logiciels pour lesquels on vous oblige à
payer un droit d'usage avec l'achat d'un matériel informatique (ordinateur ou
autre), est un dossier que l'Aful mène depuis plus de 18 ans.
Les plus jeunes observateurs de cette action se demandent souvent pourquoi
c'est une association du Libre qui la mène et non pas une association de
consommateurs. L'Aful s'est investie dans cette action car nous voyons un réel
intérêt à rendre le choix au consommateur. Nous sommes convaincus qu'avec un
choix retrouvé, le logiciel libre grand public se ferait une place bien plus
large que celle qu'elle a réussi à obtenir contre un système protégeant une
position dominante et que de grandes innovations d'usages pourraient émerger
avec une réelle part de marché.
Les racketiciels tuent l'innovation
Quand on observe l'informatique grand public de ces 40 dernières années,
rien n'a radicalement évolué. Les principes inventés par Xerox au début des
années 70 sont toujours présents dans les systèmes d'exploitation grand public.
Ils sont certes toujours plus jolis, mais cela reste la même chose. Pourtant,
plusieurs systèmes d’exploitations, la plupart sur base GNU-Linux, ont proposé
et essayé des interfaces utilisateur très innovantes qui auraient permis à
l'usage de l'informatique grand public de faire un bond en avant.
Malheureusement, la situation des racketiciels rend impossible de pénétrer ce
marché. Ces systèmes novateurs restent totalement inconnus des non-initiés.
Toutes les pistes ont été explorées
Afin de mettre un terme à ce scandale de la vente forcée de logiciels avec
du matériel informatique, nous avons réellement tout essayé ces 15 dernières
années. Même si nous avons réussi quelques trucs, malheureusement rien n'a
réellement changé.
Si tout cela nous a coûté des milliers de jours de travail de bénévoles,
cela a aussi coûté à l'Aful des dizaines de milliers d'euros. En effet, sur les
actions judiciaires, nous ne pouvions pas laisser les volontaires, souvent dans
des situations financières compliquées, supporter l’ensemble des coûts liés à
un procès. L'association a donc toujours été en support, que ce soit sur la
stratégie, sur l'argumentation à utiliser auprès des juges de proximité, et
aussi financièrement.
En justice !
En 2006, lorsque nous avons investi le terrain judiciaire, c'était
relativement simple. Le membre de l'Aful allait seul devant le
juge de proximité, après s'être fait préparer par l'équipe
d'accompagnement de l'Aful, pour y expliquer son problème. La plupart du temps,
le consommateur gagnait. Cependant, même s'il gagnait, la décision du juge
était juridiquement pauvre et ne faisait pas avancer la jurisprudence. Malgré
cela, nous savions que nous étions un réel poil à gratter car nous allions au
combat encore et encore, même si c'était un peu la fleur au fusil.
Stratégie juridique
Nous avons donc décidé de mettre en œuvre deux stratégies judiciaires en
parallèle :
- Les procès dans les tribunaux de proximité, pilotés par l'Aful avec un
avocat
- Les procès dans les tribunaux de grandes instances, pilotés par
l'association de consommateurs UFC-Que-Choisir
Sur la première, c'était assez facile. Nous avions la chance de compter sur
Maître Frédéric CUIF qui s'était investi bénévolement sur ce
dossier. Il connaissait donc parfaitement l'argumentation et grâce à sa
connaissance du système judiciaire et de la législation applicable en la
matière, nous avons pu déployer une stratégie de moyen terme.
La seconde a été plus compliquée. Faire bouger une association de
consommateurs sur un tel sujet n'a pas été aisé. En effet, tout le monde à
l'UFC-Que-Choisir utilise Microsoft Windows, et a bien ancré dans son esprit
l'équation « PC=Windows ». Ils avaient du mal à comprendre le problème. Comme
nous conseillions aux consommateurs qui nous contactaient d'adhérer à l'UFC (et
non pas à l'Aful), cela a commencé à bouger chez eux. Malheureusement, quand
ils se sont décidé à « y aller », leur conseil n'a absolument pas voulu
s'appuyer sur nos travaux, nos angles d'attaque et nos argumentaires
juridiques. Il s'est naturellement fait laminer dans les différents tribunaux,
avec l'exploit d'obtenir des décisions de justice contraires à l'intérêt du
consommateur et aux victoires que nous avions remportées de notre côté
depuis plusieurs années.
Il nous a fallu près de 5 ans pour corriger la jurisprudence désastreuse
qui avait été générée par les consommateurs qui, contrairement à nos
conseils, allaient seuls en justice et par l'UFC …
Toute notre stratégie judiciaire entre 2008 et 2013 a été l'effet cliquet
: à chaque décision, et même lorsque notre consommateur perdait au tribunal,
nous faisions valider un point juridique. Quand il y avait lieu, nous
n'hésitions pas à présenter le dossier à la Cour de Cassation (ou à la
Cour d'appel) afin d'appuyer tel ou tel élément juridique.
Assèchement
Le gros problème de cette stratégie, c'est qu'elle coûte cher. Très cher.
Trop cher.
Face à de très gros cabinets d'avocats payés à grand frais par les
constructeurs informatiques, nous sommes rapidement arrivés à des choses
absurdes telles que des mémoires juridiques de plusieurs centaines de
pages à chaque fois au juge de proximité. Du jamais vu par
ces juges qui ont l'habitude de juger de petits
litiges d'impayés de factures … Sur l'un des procès, le cabinet
d'avocat du constructeur est venu avec une dizaine de classeurs contenant
notamment près de 2000 pages de pièces !
Bref, ces procès sont devenus tellement stratégiques pour les constructeurs
attaqués qu'il n'hésitent plus une seconde à dépenser près d'une centaine de
milliers d'euro sur un seul litige (à l'origine, de 100€). Ils ont mis le
temps, mais ils ont finalement compris que c'est bien à un système mondialisé
que nous nous attaquions et que si nous gagnions en France, c'est tout le
système qui tombait. L'avocat de Hewlett-Packard le
précisait encore récemment à une audience face à notre avocat.
Eux comme nous, savions très bien que nous ne pourrions pas continuer
longtemps ainsi. Ces procès ont littéralement asséché les caisses de
l'association et nos recettes ne suivent pas, sans compter que l'Aful a
d'autres groupes de travail qui, eux aussi, nécessitent de l'argent pour
travailler.
Même lorsque nous gagnons, les juges sont tellement sur une autre planète
qu'ils n'accordent que quelques centaines d'euro à notre consommateur. Somme
qui couvre à peine le billet de train pour se rendre au tribunal …
Réduction des actions
Alors, nous avons soigneusement choisi nos combats. Le nombre de procès a
été grandement réduit entre 2013 et 2014 pour finalement tomber à zéro en 2015.
Seuls les dossiers en cours continuent d'être soutenus et aucun nouveau n'a été
lancé depuis un moment.
Nous payons aussi l'essoufflement des bénévoles qui pilotent ce dossier.
Depuis plus de 10 ans, ils sont à fond sur ce dossier ! Ils ne comptent pas
leur temps et ont abattu un travail extraordinaire. Mais les priorités de
chacun évoluent au fil du temps et le manque de résultats concrets au vu de
l'énergie dépensée décourage. Malgré plusieurs appels, personne n'est
venu au secours de l'Aful, ni au secours de l'équipe de pilotage, ce que nous
regrettons fortement.
Quelqu'un a dit : stop !
Brusquement, depuis notre
amendement à la Loi Consommation de Monsieur Benoît Hamon (qui
s'appuyait sur l'engagement de campagne du candidat Hollande),
nous avons perdu tous nos procès. C'est a priori assez étonnant car comme
évoqué plus haut, notre effet cliquet a globalement réussi. Il est donc
normalement impossible de juger le contraire de ce que nous avons
réussi à valider plusieurs fois devant les tribunaux et d'autant plus devant la
Cour de Cassation.
Mais nous perdons quand même … Pire, les consommateurs sont
maintenant condamnés à verser plusieurs milliers d'euro aux
constructeurs pour les indemniser de leurs frais de procédure ! Un comble
! On repassera pour l'aspect « équité ou de la situation économique de
la partie condamnée », pourtant rappelée par le Code de procédure civile
…
Une fois, on ne comprend pas, mais c'est la vie. Deux fois, on se pose des
questions. À la troisième fois où exactement les mêmes arguments sont utilisés
pour enfoncer le consommateur, on cherche. Et nous pensons avoir trouvé :
Tout porte à croire que l'intranet auquel ont accès les juges (lorsqu'ils
sont face à un problème juridique qu'ils ne savent pas résoudre) serve à donner
des « lignes directrices » défavorables aux consommateurs sur le sujet des
racketiciels.
On en conclut que le gouvernement Hollande envoie un message
clair et limpide : nous ne voulons plus entendre parler de procès sur les
racketiciels !
Patate chaude de la justice française
Fort heureusement, nous ne travaillons pas l'aspect justice en séquentiel
mais en parallèle. Ainsi donc l'un de nos dossiers arrivé à la Cour de
Cassation a posé de grands soucis à la première chambre civile chargée de
l'instruire. Effectivement, quand le même sujet, avec les mêmes arguments
juridiques fondés sur la directive européenne revient presque une
dizaine de fois à la Cour de Cassation, ça doit énerver un peu. De
plus, nous avons attiré l'attention de la Cour sur le fait que selon
l'interprétation faite de ses décisions, il se pourrait bien
qu'elle se contredise, y compris au sein du même arrêt.
Au vu de notre argumentation juridique, s'appuyant sur la directive
européenne, et celle du Ministère de la Justice qui fait tout pour protéger le
système en place, la Cour de Cassation se tourne donc naturellement vers la
Cour de Justice de l'Union Européenne pour lui demander de trancher ces trois
questions :
- les articles
5 et
7 de la directive 2005/29 du Parlement européen et du
Conseil du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des
entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur doivent-ils
être interprétés en ce sens que constitue une pratique commerciale déloyale
trompeuse l'offre conjointe consistant en la vente d'un ordinateur équipé de
logiciels préinstallés lorsque le fabricant de l'ordinateur a fourni, par
l'intermédiaire de son revendeur, des informations sur chacun des logiciels
préinstallés, mais n'a pas précisé le coût de chacun de ces éléments ?
- l'article
5 de la directive 2005/29 doit-il être interprété en ce sens
que constitue une pratique commerciale déloyale l'offre conjointe consistant
en la vente d'un ordinateur équipé de logiciels préinstallés, lorsque le
fabricant ne laisse pas d'autre choix au consommateur que celui d'accepter
ces logiciels ou d'obtenir la révocation de la vente ?
- l'article
5 de la directive 2005/29 doit-il être interprété en ce sens
que constitue une pratique commerciale déloyale l'offre conjointe consistant
en la vente d'un ordinateur équipé de logiciels préinstallés, lorsque le
consommateur se trouve dans l'impossibilité de se procurer auprès du même
fabricant un ordinateur non équipé de logiciels ?
En conclusion, nous verrons donc ce qu'il en sort … Notre avocat, Maître
Frédéric CUIF, ira donc plaider ce dossier avec son confrère Maître Pauline
RÉMY-CORLAY.
Pendant ce temps l'Autorité de Concurrence Française
Enfin, parallèlement, alors qu'en 2011 nous avions tenté, sans succès, de
saisir la Direction générale de la concurrence de l'Union européenne,
l'Autorité de Concurrence Française a entendu Laurent Séguin, le
Président de l'Aful, et Maître CUIF, avocat de l'association et des
consommateurs ayant lancés des procédures Racketiciel, au cours d'une audition
de plus de 4 heures. Cette audition a pour objectif
d'étudier les possibilités qui lui sont conférées pour
enquêter sur ce dossier des pratiques restrictives de concurrence sur le
marché des systèmes d'exploitation.
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