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Association Francophone des Utilisateurs de Logiciels Libres

French speaking Libre Software Users' Association

Promouvoir les logiciels libres ainsi que l'utilisation de standards ouverts.

Linux et l'entreprise, l'AFUL répond

Stéfane Fermigier (SF), Bernard Lang (BL), Jean-Pierre Laisné (JPL), Pierre Baudracco (PB)

Juin 1998

1. Quelle est aujourd'hui selon vous la perception des entreprises vis-à-vis de Linux?

SF: Linux est actuellement présent dans beaucoup plus d'entreprises qu'on ne le croit, et souvent à l'insu de leurs dirigeants. Des systèmes Linux sont souvent installés pour servir de serveurs de fichiers, d'impression ou de documents Web, sans accord formel du management. Tout simplement parce que les logiciels installés sur ces machines sont souples, performants, faciles déployer et fonctionnent très bien.

Linux est aussi souvent utilisés pour développer des solutions techniques originales et performantes, comme par exemple chez Lectra Systems ou Schlumberger, ou encore à la poste américaine (900 systèmes de reconnaissance optique des codes postaux déployés dans tout le pays).

Enfin, il est courant que des développeurs qui utilisent des systèmes Unix à leur travail installent Linux sur leur machines personnelles pour retrouver chez eux un environnement similaire à celui dont ils ont l'habitude. Ils finissent souvent par installer Linux également à leur travail.

BL: Il n'y a pas une perception des entreprises. Tout dépend de la personne interrogée. Linux est déjà très populaire chez les ingénieurs. Certains responsables en ont peur et sont conservateurs par fonction et la direction n'en n'a jamais entendu parler (d'ailleurs Torvalds ne joue pas au golf). En fait, comme dans le cas de la plupart des techniques nouvelles, l'évolution des entreprises se fait par la base. Les exemples abondent. Un exemple amusant est cité par Jimmy Guterman dans le Chicago Tribune ( http://cgi.chicago.tribune.com/tech/columns/story/0,1710,361_1,00.html)

In a recent survey, IDC's Dan Kuznetsky was told by the chief financial officer at a large New York bank that the company wasn't using and wouldn't use Linux. But when Kuznetsky spoke to the company's information-services staff, he learned that 100 servers within the company were in fact running on Linux.

La situation est même presque comique... Nombre d'entreprises utilisent Linux à l'insu des responsables. Citons encore Lynda Radosevich and Blaise Zerega d'Infoworld ( http://www.infoworld.com/cgi-bin/displayStory.pl?/features/980608free.htm):

Larry Augustin, president of VA Research, a Mountain View, Calif., seller of Linux workstations, says that some customers request his company omit the word "Linux" from invoices to avoid attracting unwanted attention from management.
"We see that it's still not acceptable at the upper levels of MIS to use something like Linux, but the engineers who need to get work done use it anyway," Augustin says.

Qui plus est, nombre de témoignages indiquent que des entreprises qui utilisent Linux le cachent, surtout à leurs clients. Mais de moins en moins. En fait Linux est présent un peu partout, surtout en tant que serveur (internet, intranet, fichiers, applications).

JPL: La perception des entreprises est aujourd'hui faussée par l'image négative qu'en donne la presse aujourd'hui. La presse, qui devrait plutôt vanter la réussite unique et innovante du modèle de développement sur lequel sont basés les logiciels libres, ne voit que le coté "libertaire" de Linux et ne traite pas de son utilisation industrielle dans des entreprises telles que Sony, Boeing ou la Nasa.

Ceci peut s'expliquer par le fait que ce mouvement représente un changement profond des us et coutumes de l'industrie et que tout changement fait peur. En lui même le modèle de développement peut conditionner l'évolution des solutions informatiques à venir et changer diamétralement le panorama mondial des acteurs de l'industrie.

N'oublions pas que ce sont des idées "effrayantes" telles "l'Internet = anarchie" ou "l'Internaute = déviant sexuel" qui ont précédées l'implantation massive des NTIC en France. Finalement ces rapports de "mauvaise mentalité" n'ont pu endiguer la formidable vague créée par l'émergence de l'Internet. La pénétration des logiciels libres est à mettre en parallèle avec ce phénomène.

PB: Tout dépend des entreprises et des domaines, mais en moyenne, Linux est en train de passer du stade simple curiosité au stade solution potentielle sérieuse.

2. Celle-ci est-elle en train de changer?

SF: On constate une évolution sensible dans les médias aux État-Unis depuis à peu près janvier 1998, et en France depuis mars ou avril. Les grands groupes de presse, comme CMP, IDG ou ZD, consacrent maintenant chaque semaine plusieurs articles à Linux ou à d'autres logiciels libres, et c'est le cas aussi des médias grand-public. Comme ces articles sont presque toujours positifs, il est clair que l'image de Linux va rapidement évoluer auprès des dirigeants d'entreprises.

Les annonces récentes de portages sous Linux de logiciels commerciaux phares, comme les logiciels serveurs de Netscape, les logiciels de bureautique de Corel, le SGBDO O2 ou le SGBDR Interbase de Borland/Inprise vont également jouer un rôle moteur dans la percée de Linux.

Enfin, les étudiants en informatique qui ont commencé à utiliser Linux il y a 3 ou 4 ans arrivent sur le marché du travail, parfois à des postes où ils ont la décident des outils à déployer.

BL: Il semble que ce soit le cas, en particulier parce que les expériences réussies de l'utilisation de Linux sont de plus en plus connues, de même que le rôle considérable des logiciels libres dans le développement de l'Internet qui est l'un des moteurs principaux de la croissance actuelle.

En outre les raisons de ce succès de Linux, et de celui des logiciels libres en général, est beaucoup mieux analysé et compris, et cela commence à motiver nombre d'entreprises qui y voient un changement des règles du jeu qui peut leur offrir des occasions, dans un contexte qui devenait de plus en plus fermé. C'est clairement l'analyse faite par des sociétés comme Netscape ou Corel.

La presse spécialisée ne pouvait taire l'ampleur et la variété des succès de Linux, et sa croissance considérable. On a vu évoluer son contenu, il y a environ 1 an aux États-Unis (Linux a obtenu un prix Infoworld début 1997... année durant laquelle plusieurs prix furent décernés aux logiciel libre), et durant ces derniers mois en France.

Il semble y avoir un effet boule de neige, qui devrait être accéleré en apparence (certains articles parlent d'explosion) par le fait que les entreprise qui utilisent déjà Linux craindront de moins en moins de le révéler.

JPL: L'apparition des logiciels libres tels que Linux ou Apache sur le radar de grands de l'industrie tel que IBM, Sun ou Netscape sont des signes avant coureurs extrêmement encourageant quant à l'introduction des logiciels libres dans l'entreprise. Ce constat est complété par la publication de rapports faisant état de la présence des logiciels libres dans les entreprises par les principaux consultants de notre industrie (Datapro, Gartner Group, IDC).

PB: Oui, nettement. Car de très nombreuses entreprises (officiellement ou non) sont en phase d'évaluation de Linux. Comme il est souvent affirmé, Linux entre par la petite porte (serveur de fichiers, Web) puis, grâce a ses qualités (fiabilité, performances) se ménage une place et progresse dans l'entreprise.

2 autres facteurs influent très positivement sur la perception de Linux dans les entreprises.

  • La presse informatique française en traite maintenant de façon régulière, en le considérant en tant qu'outil professionnel.
  • La succession d'annonces de portages de logiciels sur cette plate-forme par des éditeurs majeurs. Et ce n'est pas fini.

3. À quels obstacles se heurte aujourd'hui son acceptation ?

SF:

  1. L'ignorance dans laquelle se trouvent les dirigeants d'entreprises à son sujet.
  2. La crainte de sauter le pas, entretenue par des mythes inexacts (FUD -- Fear, Uncertainty, and Doubt) : il n'y a pas de service d'assistance technique, il évolue trop vite, il convient aux bidouilleurs et non aux utilisateurs sérieux : voir reponses plus loin ou lire http://www.smets.com/it/faq/linux.html.
  3. La confusion entre gratuité et libre disponibilité des sources, deux notions souvent rendues par le même terme, freeware ou free software, et qui recouvrent des notions complètement différentes.
  4. Des facteurs pervers liées au mode de gestion des entreprises : il n'est pas sérieux pour un DSI de réclamer un budget de 250 F pour l'achat des logiciels systèmes et d'une partie des applications dont il a la responsabilité.

BL: Le manque d'information... il n'y en a pas encore assez.

Principalement la peur de ne pas suivre un standard de fait, et toutes les craintes habituelles concernant la stabilité, la pérennité, la sécurité, l'assistance, mais surtout le besoin d'avoir un interlocuteur commercial responsable. En fait il s'agit surtout d'illusions, de craintes irrationnelles (cf. ci-dessous) dans une technologie mal maîtrisée par les entreprises qui ont besoin d'être rassurées (et la gratuité, tout comme la liberté, n'est pas rassurante).

Cela résulte d'une mauvaise perception de l'économie des biens immatériels, d'une mauvaise analyse des phénomènes et des forces en présences, que l'on veut ramener à des schémas traditionnels alors même que tous les mécanismes de production sont en train de changer. Les chefs d'entreprise semblent avoir devant ces changements un comportement immature : ils sont prêts à abandonner leur souveraineté (le contrôle de leur système nerveux, comme dirait M. Gates) pour se faire rassurer par celui qui est grand et fort sur le marché.

Les mentalités des ingénieurs, des hommes de terrain qui ont un travail concret à réaliser avec des moyens limités et une perception plus directe de la réalité et des changements, évoluent en fait beaucoup plus vite, et sont plus ouverts.

JPL: Depuis 15 ans les responsables informatiques suivent l'adage "on ne peut pas me mettre à la porte pour avoir choisi IBM" repris aujourd'hui par Microsoft au grand déplaisir de son prédécesseur. Ce réflexe conditionné connu aussi comme "standard du marché" est en perte de vitesse aujourd'hui freiné notamment par son coût d'adoption (voir les études sur le TCO - Total Cost of Ownership- développées par le Gartner Group) et par l'expérience qu'ont acquis les entreprises à travers les précédentes versions de leur système d'information. Or on voit aujourd'hui de plus en plus de résistance à ce modèle conventionnel car tout le monde n'a pas les moyens de choisir les standards du marché, ni de laisser son entreprise en otage entre les mains de l'un ou l'autre de ses fournisseurs. Dans cet esprit, beaucoup préféreront choisir aujourd'hui des standards ouverts permettant une évolution moins contraignante et moins coûteuse des systèmes d'informations.

4. Un certain nombre de responsables informatiques avancent différents types d'arguments pour justifier la méfiance des entreprises vis-à-vis de Linux :

4.1 ``la pérennité du produit n'est pas assurée''

SF: La pérennite de Linux et des projets les plus importants de logiciels libres comme Apache, Perl ou Gimp est assurée par la libre disponibilité des sources et par le nombre d'utilisateurs et de développeurs qui sont liés au produit. La défection éventuelle d'un ou plusieurs membres du noyau central de l'équipe de développement d'un tel projet est donc sans conséquence grave pour l'avenir du logiciel.

En ce qui concerne Linux, on peut préciser que le système d'exploitation FreeBSD, également libre mais développé suivant un modèle plus centralisé que Linux, est 100 % compatible avec les exécutables Linux. Ainsi, dans le cas difficile à imaginer où le projet Linux se retrouverait dans une impasse, un système similaire pourrait prendre sa place sans rien changer aux applications.

BL: La pérennité est en fait assurée par la masse des développeurs et des utilisateurs. Cela crée une sorte de masse inertielle qui protège les utilisateurs contre toute disparition soudaine du produit. De plus, la fonction créant l'organe, si les coordinateurs d'un produit disparaissent, ils sont remplacés, soit pour la gloire, soit par intérêt, car les logiciels libres permettent nombre d'activités lucratives, à commencer par le conseil et les services. Et être leader sur un produit est une excellente carte de visite. De fait, le logiciel GIMP (concurrent libre et unixien de Photoshop) a perdu ses créateurs et continue à se développer, sous la houlette d'un nouveau "manager", librement accepté par la communauté.

Il peut évidemment y avoir divergence entre deux branches de développement, avec une situation de concurrence, mais je ne crois pas que la concurrence entre fournisseurs ait jamais fait peur aux entreprises. :-)

Enfin, il ne faut pas oublier que la disponibilité des sources est une assurance de pérennité, si l'on a les moyens de payer du service.

À l'opposé, les logiciels propriétaires traditionnels n'offrent aucunes de ces garanties, et peuvent disparaître quasiment du jour au lendemain par décision stratégique de l'éditeur, ou simple disparition de son entreprise.

PB: Cette idée fausse est une conséquence d'une autre idée fausse, qui est que Linux est développé par une personne (Linux, le système développé par Linus Torvald). Le projet a été lancé par Linus, qui a maintenant un rôle de chef de projet, mais est maintenant l'oeuvre de plusieurs milliers voire dizaines de milliers de développeurs indépendants les uns des autres et ne reposant pas sur ça pour vivre. Qui peut aujourd'hui arrêter Linux ? Il faudrait que tous les développeurs, dont le nombre ne cesse d'augmenter, cessent de travailler sur Linux simultanément. Qui peut arrêter un système commercial aujourd'hui : son propriétaire, si sa politique change.

4.2 ``il est difficile de prévoir les coûts de maintenance d'un outil gratuit''

SF: C'est aussi difficile de les prévoir pour les logiciels commerciaux qui ne tiennent pas leurs promesses (NT = ``not today'').

Il faut noter que la gratuité de Linux n'est pas sa principale qualité. Pour une somme variant de 250 F à 1000 F on peut acheter, chez Red Hat, SuSE ou Caldera par exemple, des distributions de Linux qui contiennent une quantité considérable de logiciels libres souvent agrémentés de quelques ``bonus'' commerciaux, et qui s'accompagnent d'une assistance téléphonique sur une période de temps qui permet de s'assurer que le système à été installé correctement.

Pour une maintenance sur une plus longue durée, voir la réponse à la question suivante.

BL: Correction : nous parlons logiciels libres : c.a.d. avec le source librement modifiable. Le caractère gratuit est peu pertinent.

Et quels sont les moyens de le prévoir pour un outil commercial (payant) ? La maintenance, cela se paye, et c'est souvent dissocié de l'édition du produit (par exemple chez Microsoft, qui vous renvoie vers le revendeur). On peut acheter de la maintenance pour un produit libre, et on le négocie comme pour tout autre produit. De plus, les sources étant disponibles, toutes les formes et tous les niveaux de maintenance sont possibles, en s'adressant à qui l'on veut, ce qui n'est évidemment pas le cas pour les logiciels propriétaires.

4.3 ``Avec Linux, les entreprises n'ont pas d'interlocuteur direct susceptible d'assurer l'assistance technique''

SF: Il existe de nombreuses sociétés ou des consultants dont la raison sociale est de servir d'interlocuteur direct pour les utilisateurs de Linux qui le souhaitent. En France, citons par exemple Alcôve, Aliacom et Atrid. Le rôle, plus international, de sociétés comme Red Hat ou Caldera est également fondamental.

BL: Même réponse que ci-dessus. L'assistance, c'est du service, du travail humain, et cela se paie. En fait, il nous faut apprendre à mieux distinguer les produits dont le coût marginal est nul, et donc la valeur essentiellement indéterminée (tout le monde sait que c'est souvent à la tête du client) et les services qui représentent des coûts salariaux bien évalués. Les sociétés qui distribuent commercialement Linux offrent quelques mois d'assistance gratuite aux utilisateurs. On peut toujours en acheter davantage, comme pour les logiciels propriétaires.

De plus rappelons qu'Infoworld a attribué à la communauté Linux le prix de la meilleure assistance aux utilisateurs pour 1997. Il primait essentiellement l'excellente assistance offerte sur l'Internet.

JPL: Aucune entreprise proposant du support technique autour de ses produits ne garantit la résolution des problèmes rencontrés lors de leur utilisation. Que les entrepreneurs prennent le temps de relire les contrats de licence qui les lient à leurs fournisseurs. Chacun d'eux pense qu'il pourra se retourner vers ce même fournisseur et l'assigner en justice. Or il est extrêmement rare dans notre industrie de voir une telle démarche aboutir en dédommageant l'entreprise plaignante.

Par contre, la qualité de service rendu par le support technique établit bien souvent la différence entre deux offres. Par le haut degré d'implication de chacun des acteurs professionnels du monde des logiciels libres, les sociétés qui fournissent du support technique sur les logiciels libres, s'engagent à un niveau de qualité bien supérieur à celui des offres classiques. Les entreprise auraient alors tort de se priver d'une telle source de qualité.

4.4 ``Le support est sur le web mais nous n'avons ni le temps ni la patience d'intervenir nous mêmes''

SF: Même réponse que précédemment. À noter que dans le cas d'un support commercial pour certains OS propriétaires, il n'est pas rare d'attendre plusieurs semaines voire plusieurs mois la réponse à une question technique, alors que pour Linux les réponses aux questions posées dans les newgroups arrivent souvent dans les 24 H.

BL: L'assistance sur l'Internet est gratuite (web, forums, listes de diffusion). Mais si l'on veut payer, il y a des vendeurs, qui sont prêts a se déplacer. Il sont de plus en plus nombreux, à mesure que Linux se répand.

4.5 ``Le responsable informatique prend plus de risque vis-à-vis de sa direction en optant pour Linux : il doit assumer un choix original et gérer lui-même le support sans pouvoir faire glisser la responsabilité sur une société extérieure''

SF: Même réponse que précédemment : il le peut s'il le souhaite.

BL: Envoyez-le moi ... je connais des sociétés prêtes à l'assister pour ses choix et la conception des ses systèmes d'information et de traitement, et aussi prêtes à lui vendre maintenance, entretien, adaptations, etc...

4.6 ``Linux souffre d'une image d'OS d'universitaire''

SF: À tort. Linux n'est pas, de loin, le fruit d'un travail de recherche universitaire mais le résultat de la collaboration de développeurs qui souhaitaient réaliser un système robuste, performant même sur du matériel bon marché, compatible avec le standard POSIX.

Un rappel historique : avant l'apparition de Linux, il y avait deux grandes familles de systèmes d'UNIX, d'une part celles issues de System V, d'origine AT&T et développées selon un modèle commercial, d'autres part celle issues de BSD, donc de l'université de Berkeley. Il est notoire que toutes les innovations importantes que l'ont retrouve maintenant sur les UNIX modernes sont issues du la version BSD. Et Linux, dans bien des domaines, est maintenant le moteur principal de ces innovations.

BL: Soyons sérieux... les créateurs d'Unix étaient des chercheurs, et Unix s'est développé dans les universités, comme la plupart des autres technologies, avant de se retrouver comme système de référence dans l'industrie. De plus les collaborateurs de l'entreprise Linux sont loin d'être tous universitaires.

Je suis surpris que l'on ne fasse pas le même reproche à l'Internet. Cela n'est pas sérieux (surtout pour des industriels :-) On juge un produit sur ses qualités, son TCO, sa pérennité, ...

JPL: Le côté "professeur Tournesol" des Linuxiens vient surtout du fait que l'on trouve de tout sous Linux (Cf. Linux Center ou Linux Resources), de RPC de DCE en passant par ORB de l'OMG, plusieurs machines virtuelles Java, la gestion des threads (fonctionnalités standards d'OS concurrents comme Windows NT ou Solaris) et Com de Microsoft. Tout le monde peut donc tout expérimenter sans rien acquérir. Doit-on considérer cette formidable chance comme un handicap ? Une chose est sûre : le monde des logiciels libres constitue le plus grand laboratoire de Recherche et Développement du monde, sans compter le service d'assurance qualité. Aucun industriel n'a les moyens de réunir une telle équipe de concepteurs, d'ingénieurs systèmes, de développeurs d'applications et de bêta testeurs.

Ce gigantesque labo est de plus en veille technologique permanente de façon à proposer des solutions libres quelle que soit l'évolution des techniques. Linux est par exemple un excellent moyen de rester léger et consistant dans la guerre des OS opposant Microsoft au reste de l'industrie. Enfin, Linux remporte un succès croissant auprès des professionnels qui osent aujourd'hui baser leur stratégie de développement sur ce système d'exploitation libre (Cf. Linux Enterprise Computing http ://www.linas.org/linux ou Freely Redistribuable Software http : //www.eklektix.com).

4.7 ``Linux reste limité aux institutions publiques type université, CEA ou CNRS...''

SF: Linux est populaire dans ces milieux car les chercheurs sont probablement plus curieux, plus ouverts à l'expérimentation, plus enclins à faire partager leurs expériences.

Linux est très lié à l'Internet, et l'Internet a d'abord été l'apanage des centres de recherches et des universités avant de gagner les entreprises. C'est exactement le même phénomène qui se produit avec Linux en ce moment.

BL: On ne peut guère reprocher aux scientifiques d'avoir bon goût en matière de technologie. Et puis, nous [j'en suis un] avons besoin de logiciels fiables, surtout au CEA :-)

Plus sérieusement, ce n'est absolument pas le cas, voici ma petite liste d'exemples (mais il y en a de bien plus longues) industriels ou institutionels, qui présente une bonne variété géographique, sectorielle et technique (cf http://pauillac.inria.fr/~lang/linux/francais.html#utilisation).

* Gestion integrée des transports publics (bus et train) dans le nord-est
de l'Italie.
* informatisation de toute une commune de 170.000 habitants (USA) par des
serveurs Linux, avec réseau hétérogène comprenant des poste de travail
windows
* tri automatique du courrier par reconnaissance optique de caractères
(900 systèmes dans le Service Postal US)
* gestion d'entrepôts chez l'Oréal (France)
* contrôle d'expériences embarquées dans la navette spatiale (USA)
* robotique industrielle chez Lectra (France) et Mydata (Suède)
* contrôle des pompes et caisses enregistreuses dans les stations service
produites par Schlumberger
* suivi de fonctionnement d'ascenseurs chez Fujitec (Japon)
* réseaux d'entreprise chez Ikea (Suède)
* serveur réseau hétérogène dans l'enseignement public (France, Quebec,
USA)
* micro-serveur clef-en-main pour non spécialistes (Cobalt, USA)
* pare-feu (firewall) Internet conditionné en matériel indépendant clé en
main (2 sociétés : Suède et USA)
* réalisation de "network conputers" chez Corel (Canada)
* service teletext interactif par Grundig TV-Communications (Danemark)
* service vidéo sur intranet (Digital Video Systems, USA)
* système d'information et de commandement pour l'armée américaine (USA)
* maintien des installations informatiques dans la Yougoslavie sous
embargo.
* serveur de donnée à haute fiabilité pour l'Observatoire Européen de
l'Audiovisuel - Conseil de l'Europe
* gestion répartie des transactions pour 6 chaînes de magasins totalisant
5000 machines sur plus de mille points de vente (Afrique du Sud)
* réalisation, sur plate-forme Alpha, des effets spéciaux pour le film
Titanic (USA).

JPL: L'utilisation de Linux par des SSII ou des PME/PMI telles qu'Infodata (Luxembourg), Cromwell Business Systems (Royaume Uni), Zabaltzen (Espagne), Panol (France) démontre le contraire (références Pick Systems Europe). Linux et les logiciels libres réussissent bien là où le coût des standards du marché représente un handicap à la modernisation des outils de l'entreprise. De plus, la proximité des SSII proposant à ces PMI des solutions libres est un avantage qu'aucune multinationale ne peut proposer simplement.

En fait Linux convient au modèle économique PME/PMI (Small and Medium Enterprises) très répandu en Europe, par sa capacité à rendre des services (notamment en communication) à des entreprises qui en ont besoin pour croître à un niveau global mais qui n'en ont pas forcément les moyens économiques. Pouvant être alors considéré comme outil de croissance mais aussi comme outil de transfert technologique, il convient aussi au Reste du Monde c'est-à-dire aux pays ou sociétés en développement dont la projection dans l'avenir dépendra de l'adaptation aux nouvelles technologies.

Nous envisageons donc ce système non seulement comme une alternative technique de création de nouveaux outils ou produits mais aussi comme un instrument de création de richesse (revenus et emplois) et de connaissance (l'appropriation de l'OS par chacun - facilitée par la présence des sources et d'une abondante documentation - permettant une meilleure compréhension des mécanismes du système).

PB: C'est un gage de qualité si Linux est si utilisé dans ces milieux. Est-il besoin de rappeler que toutes les innovations majeures sortent de ces milieux (Internet, Web, Java,...).

4.8 ``Les solutions propriétaires sont validées et sécurisées''

SF: Ce n'est sûrement pas le cas de NT qui ne correspond aux normes de sécurités que lorsqu'il n'est pas connecté à un réseau.

BL: Pas plus que Linux pour les autres Unix (et je ne parle pas de la sécurité sur NT). Et la sécurisation également, cela s'achète. C'est souvent dépendant du mode d'installation et d'utilisation. La sécurisation de Linux est proposée par diverses sociétés et divers logiciels libres. Et j'imagine mal que l'armée américaine, qui l'utilise, n'ai pas étudié ce thème.

En fait, la sécurité, cela commence par la transparence.

  • La transparence, c'est-à-dire le libre examen du code source, cela veut dire que des milliers d'yeux se posent sur le code, et peuvent en repérer les bugs, bien sûr (d'où la plus grande fiabilité des logiciels libres), mais aussi les faiblesses de conception (et pourquoi pas les pièges).
  • Un logiciel dont le mode de sélection et d'évolution concurrentielle est basé sur la qualité du code sera mieux conçu, donc plus facile à comprendre et à sécuriser.
  • On ne peut bien sécuriser un système que si on en maîtrise les composantes, donc le code, en particulier quand il est appelé à être utilisé dans des conditions que ses créateurs n'avaient peut-être pas prévu.

PB: Ah, et quelles sont alors les garanties fournies ? Voir a ce sujet l'excellent article de Roberto Di Cosmo intitule "Piège dans le cyberespace" qui explique comment l'informatique est actuellement le seul domaine on l'on peut vendre des systèmes qui ne fonctionnent pas comme prévu, et obligeant le client à payer s'il souhaite bénéficier de mises à jour correctives, sans aucune contrainte pour l'éditeur.

Concrètement, nous redémarrons nos serveurs NT une fois par jour, alors que nous n'avons jamais relancé l'un de nos 4 serveurs Linux pour cause de problème ou erreur système.

5. Pouvez-vous décrire l'activité des sociétés membres de l'AFUL ?

PB:

Nous développons la majorité de nos applications Intranet (gestion, accès bases de données, applications multi-niveaux) en pur Java sous JBuilder, et testons systématiquement les applications sous Linux. Cela nous a permis de constater que les machines virtuelles Java disponibles sous Linux (ports des versions du JDK 1.1.6 de SUN) étaient environ 3-4 fois plus rapides (et ce sans JIT) que la machine virtuelle officielle de SUN (dernière version incluant le compilateur JIT de Symantec) sous MS-Windows NT ou 95. Ce qui nous oblige (!) a exécuter sur des machines Linux les lourdes procédures de migration de bases de données, et donc à installer une machine Linux chez le client pour gagner un facteur 4 sur des imports qui sinon peuvent durer jusqu'à 48 heures.

Nous voyons là un gros potentiel pour Linux.