[Paris, le 3 mars 1999. Pour diffusion immédiate.]
La justice française vient de faire porter la responsabilité d'une
publication illégale, attentant à la vie privée d'autrui, à l'hébergeur
d'un site et non à l'auteur de la publication alors que des moyens
techniques auraient permis de déterminer l'identité de l'auteur en
infraction et de le poursuivre. Elle agit conformément à une tendance
inquiétante du droit de la propriété intellectuelle qui tend à assimiler
les diffuseurs (fournisseurs d'hébergement ou de connectivité) à des
directeurs de publication:
- Le Parlement Européen a récemment voté en faveur d'une application
stricte du droit d'auteur au contenu des caches Web, un dispositif
technique utilisé par des opérateurs de télécommunication comme France
Telecom pour optimiser les performances du réseau Internet.
- Aux Etats-Unis, le "Digital Millenium Act" permet de couper
automatiquement les publications sur le Web soupçonnées d'illégalité,
sans même un procès.
- Pour imiter la loi américaine sur les brevets, la Commission
Européenne envisage d'autoriser les brevets sur les logiciels et de
rompre avec la tradition humaniste européenne qui voulait que l'on
ne s'approprie pas les concepts ou les idées. En outre, au lieu de
rendre les utilisateurs du brevet responsables en cas de contrefaçon,
la proposition de directive européenne propose, comme aux Etats-Unis,
de rendre les diffuseurs responsables des contrefaçons.
Or la responsabilisation juridique généralisée des diffuseurs
d'information présente plusieurs inconvénients majeurs:
- Elle favorise les grandes entreprises qui ont les moyens financiers
d'héberger un site et de se défendre en cas d'attaque. Elle freine l'accès
des autres à la publication sur le Web. Quelle société d'hébergement ou
quel opérateur de télécommunication accepterait en effet de véhiculer des
données au contenu a priori incertain alors que de grandes entreprises
proposent un contenu dont elle garantissent la légalité ? En ce sens,
la responsabilisation des diffuseurs contribue à promouvoir une société
où toute l'information vient de quelques grands acteurs institutionnels
ou commerciaux.
- Elle touche de plein fouet les logiciels libres qui sont
caractérisés par un modèle de développement où n'importe qui peut
participer. C'est l'une des forces du modèle car les erreurs sont
corrigées rapidement et les logiciels évoluent en fonction des besoins
des utilisateurs. Imaginons maintenant qu'une multinationale du logiciel,
menacée par la progression irrésistible d'un logiciel libre, introduise
en secret un bout de code breveté dans ce logiciel. L'hébergeur qui le
propose en téléchargement risquerait alors de se faire attaquer pour
contrefaçon. Ce scénario n'a hélas rien d'incongru: Microsoft, en tant
que membre du World Wide Web consortium (W3C), a déjà introduit en secret
des technologies brevetées dans la norme HTML (voir
www.freepatents.org.
La démocratie commence par le respect des lois. Mais certaines lois
peuvent aussi tuer la démocratie en altérant l'égalité des citoyens
face à l'information, en promouvant une société où les producteurs de
logiciels et d'information sont uniquement des grandes entreprises
et où les individus peuvent se trouver pénalement responsables lorsqu'ils
produisent des logiciels et de l'information utiles à tous.
Références: