Anticipant la décision adoptée par le Conseil de l'Union européenne le 18 mai 2004 qui rejette les amendements à la directive européenne sur les brevets logiciels qu'avait votés le Parlement européen à une large majorité, ObjectWeb a décidé, par la voix de son président Jean-Pierre Laisné, de rappeler aux futurs députés français au parlement européen les menaces que constitue pour l'industrie informatique européenne dans son ensemble et en particulier pour les logiciels libres la brevetabilité des logiciels. Cette lettre était accompagnée d'un livre blanc, disponible en ligne sur le Wiki d'ObjectWeb.
Aux candidats français aux élections européennes
Paris, le 14 mai 2004.
Objet : Lettre Ouverte sur la brevetabilité du logiciel en Europe
Mesdames, Messieurs,
C'est en tant que citoyen européen et en tant que Président du consortium
ObjectWeb que je me permets de vous interpeller.
Je tiens par la présente à vous sensibiliser aux enjeux critiques qui
sous-tendent la question de la brevetabilité du logiciel, dont vous aurez à
débattre lorsque vous serez élu au Parlement Européen.
Une directive européenne permettant l'obtention de brevets sur du logiciel,
des services et/ou des idées aurait un effet dévastateur sur l'ensemble de
l'industrie informatique européenne. Elle menacerait l'indépendance
technologique de l'Europe en fragilisant les bases réglementaires qui
fondent l'autonomie de ses systèmes d'information, privés et publics. Ce
serait de plus un contre-sens économique majeur, comme le confirment de
récentes conclusions de la Federal Trade Commission américaine qui viennent
confirmer le caractère contre-productif du système des brevets de
logiciels. Vous noterez aussi que les brevets de logiciels seraient
instrumentalisés comme arme contre le logiciel "libre", pour lesquels les
gouvernements de nombreux pays d'Europe et du monde entier manifestent
légitimement un intérêt croissant.
J'attire votre attention sur le caractère essentiel des technologies de
l'information pour l'avenir de nos démocraties. Qu'il s'agisse de
l'éducation des enfants, de l'information des citoyens ou des dispositifs
d'administration électronique, la démocratie numérique reposera sur des
systèmes d'information dont les règles de fonctionnement devront être
établies en toute transparence, selon la volonté démocratique. Le logiciel
interviendra partout et son contrôle, par le truchement de brevets,
risquerait d'introduire des réglementations de fait, arbitraires, aux
conséquences délétères pour le quotidien des citoyens européens.
Les textes actuels, adoptés par vote démocratique au Parlement Européen,
font preuve d'une intelligence et d'une modération que l'on ne peut tolérer
de voir remises en question sous l'influence d'organismes non
représentatifs des citoyens et, de surcroit, suspects de liens avec des
monopoles économiques.
Outre ces considérations de fond, je tiens à exprimer ma plus vive
inquiétude face à la remise en cause des décisions du parlement Européen
concernant la directive du 24 septembre 2003 (2002/0047(COD)). La tentative
de la présidence européenne de passer outre ce vote en reformulant
totalement le texte de la directive est à nos yeux incompréhensible. Une
pareille attitude ne peut que provoquer une crise de confiance majeure dans
les institutions démocratiques européennes pour les citoyens que nous
sommes.
En tant que Président du consortium ObjectWeb, qui regroupe plus de 35
sociétés internationales, je vous prie de trouver ci-joint un livre blanc
établi dans le cadre d'ObjectWeb sur le sujet des brevets de logiciel. Vous
constaterez que ce texte n'émane pas d'individus ignorants du monde du
logiciel, mais au contraire de chercheurs et d'industriels fortement
impliqués dans l'innovation informatique depuis de nombreuses années. Ce
livre blanc synthétise les motifs qui justifient que le logiciel reste hors
du champ du brevetable et propose une harmonisation du droit international
sur la base de la législation européenne actuelle.
Je me tiens à votre entière disposition pour vous fournir toute information
complémentaire et serais très heureux de discuter de ce sujet avec vous de
vive voix si vous le jugiez utile.
Je vous prie d'agréer, Mesdames, Messieurs, l'expression de mes salutations
respectueuses.
Jean-Pierre Laisné
President du consortium ObjectWeb