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Questions sur l'interopérabilitéLe 10 septembre dernier, la société Microsoft organisait une table ronde consacrée à l'interopérabilité. Et force est de reconnaître que les questions qui y ont été posées étaient fort pertinentes. Nous regrettons d'autant plus de ne pas avoir eu l'occasion d'y apporter de vive voix les réponses qui suivent. 1 - L'interopérabilité, une exigence du marché mais une réalité sur le terrain ?L'état des lieux de l'interopérabilité varie substantiellement selon les domaines. On remarquera que, dans les domaines où les logiciels libres sont significativement présents, la situation est elle aussi significativement meilleure en matière d'interopérabilité. Si on considère Internet par exemple, dont la nature même est étroitement liée à l'interopérabilité, on constate que l'on a une très bonne interopérabilité dans les couches basses. L'interopérabilité dans la couche applicative est en amélioration, après une période plutôt sombre, parce que l'acteur dominant, Microsoft, qui avait atteint avec Internet Explorer une position de quasi monopole à la fois pour des raisons techniques et grâce à l'installation par défaut du produit sur la plupart des postes, n'avait aucun intérêt à respecter les normes du domaine, au contraire. Ce n'est que parce que les navigateurs concurrents ont démontré des qualités techniques largement supérieures combinées à un respect des normes que la situation a pu évoluer. Cependant, rien n'est jamais acquis. Dans le domaine de la messagerie par exemple, où l'on trouve normal de pouvoir échanger des courriels avec n'importe quel interlocuteur, les évolutions choisies par Microsoft pour son client de messagerie Outlook vont à l'encontre des principes d'interopérabilité. 2 - La quête d'interopérabilité est-elle bien compatible avec les enjeux concurrentiels du marché ?L'interopérabilité, quand elle est réelle, constitue un élément clé favorisant une concurrence non biaisée sur un marché. Elle est, à ce titre, toujours souhaitée par l'utilisateur puisqu'elle lui offre un choix plus grand parmi ses fournisseurs potentiels. Pour les fournisseurs, en revanche, il en va différemment, selon la position qu'ils occupent sur le marché. Si un fournisseur a réussi à atteindre une position dominante, voire de quasi monopole sur un marché, il n'aura aucun intérêt à favoriser l'interopérabilité dans ce domaine puisqu'elle tendra à le mettre sur un pied d'égalité avec les autres fournisseurs, ce qui risque mécaniquement de lui faire perdre des clients. S'il subit des incitations externes pour permettre une plus grande interopérabilité sur le marché concerné, l'enjeu pour lui sera alors de réussir à satisfaire à la lettre de ces injonctions, tout en s'assurant que, dans les faits, l'interopérabilité puisse s'installer le moins possible. Cela peut notamment se faire en jouant sur la définition du terme "interopérabilité" ou en faisant un lobbying en amont pour que les textes juridiques tendant à l'imposer soient le moins efficaces possible. Pour les autres fournisseurs, en revanche, l'interopérabilité n'est pas seulement compatible avec leurs enjeux concurrentiels, elle en est un précieux adjuvant, puisqu'elle permet à leurs solutions de ne pas être a priori pénalisées par rapport à celles de l'acteur dominant. On voit donc que par rapport à l'interopérabilité, l'affrontement n'est pas du tout entre logiciels libres et logiciels propriétaires, mais entre acteur en position dominante, qui a tout intérêt à verrouiller ses marchés, et l'ensemble des autres acteurs, qui veulent un moyen de faire valoir leurs innovations techniques sur ces marchés. 3 - L'interopérabilité, uniquement une histoire de standards ?L'interopérabilité est étroitement dépendante de la présence de standards, mais de standards réellement ouverts, qui n'excluent pas une frange d'acteurs. Par exemple, à partir du moment où un standard est couvert par des licences de type RAND, il interdit les modèles économiques basés sur des logiciels libres. C'est d'ailleurs pour cette raison que le W3C a fait évoluer sa politique en matière de propriété intellectuelle. Ensuite, même dans le cas d'un standard parfaitement ouvert, il n'est qu'un moyen. Au final l'interopérabilité se juge entre les produits, c'est-à-dire entre les implémentations de ce standard. Or, si pour une raison ou une autre, un acteur n'a pas d'intérêt à l'interopérabilité mais subit des pressions pour implémenter le standard, il peut toujours trouver des modalités d'implémentations qui, en pratique, ne permettront qu'une interopérabilité limitée. L'implémentation d'ODF, et en particulier sa partie tableur par Microsoft en est un très bon exemple. ODF, dans sa version 1.0, présente une lacune en ne spécifiant pas les formules de calcul, c'est-à-dire en en laissant le choix à l'implémenteur. Jusque-là, les différentes implémentations, dont l'objectif était bien l'interopérabilité, faisaient le choix de pallier cette carence de la norme en la prolongeant par le standard de fait, c'est-à-dire l'implémentation la plus répandue. Microsoft a, logiquement, fait le choix opposé. 4 - Concrètement, comment progresser vers plus d'interopérabilité ?Même si le sujet est désormais largement vulgarisé, il reste sans doute une part d'information à effectuer auprès des utilisateurs et des acteurs entrant sur un marché afin de leur faire mieux cerner les contours définissant une réelle interopérabilité et les avantages qu'il peuvent en tirer. Ensuite, il faudrait pouvoir mettre en place des moyens pour garantir un fonctionnement serein des instances de normalisation ; malheureusement, c'est le mouvement exactement inverse qui a affecté l'ISO et les instances nationales de standardisation à l'occasion de la standardisation des spécifications MS-OOXML ECMA 376. Comme évoqué plus haut, il est désormais difficile pour un acteur de s'opposer ouvertement à l'idée de l'interopérabilité, puisque ce serait s'opposer à l'idée d'une concurrence libre et non faussée qui est à la base de l'économie de marché telle que nous la connaissons. Les menaces pesant sur l'interopérabilité ne sont plus frontales, mais plus subtiles, et demandent de la part des utilisateurs comme des instances de régulation de la concurrence une vigilance d'autant plus soutenue.
Posté par Camille Moulin @ 15/11/2009 16:05
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Catégories :
Intéropérabilité,
Économie
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