ECOLE NATIONALE SUPERIEURE DES MINES DE PARIS

CORPS TECHNIQUES DE L'ÉTAT










La Brevetabilité des Logiciels

3 SEPTEMBRE 2001













Youenn Dupuis
Olivier Tardieu
youenn.dupuis@m4x.org
olivier.tardieu@m4x.org

sous la direction de

François Lévêque
leveque@cerna.ensmp.fr
Centre d'Économie Industrielle
Ecole des Mines de Paris


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Plan

Introduction _______________________________________________________________ 5
1 Le brevet : favoriser l'innovation et diffuser la connaissance_____________________9
1 - Des privilèges aux brevets _______________________________________________ 10
2 - Le brevet, un instrument imparfait_________________________________________ 12
3 - Les critères de la brevetabilité ____________________________________________ 14
4 - Le brevet en pratique ___________________________________________________ 15
2 Le logiciel : un vide juridique ? ___________________________________________21
1 - Une Nouvelle Frontière _________________________________________________ 22
2 - Les logiciels et les programmes d'ordinateur ________________________________ 22
3 - Le droit d'auteur_______________________________________________________ 23
4 - Le secret industriel_____________________________________________________ 25
5 - Le brevet logiciel ______________________________________________________ 25
6 - Le débat juridique _____________________________________________________ 29
3 Le brevet logiciel : un enjeu politique économique et sociétal ___________________31
1 - 1997 ­ 2000 : de l'initiative de la Commission au statu quo de Munich____________ 32
2 - L'enjeu économique ____________________________________________________ 36
3 - L'enjeu sociétal et le logiciel libre _________________________________________ 39
4 Pour ou contre les brevets logiciels ?_______________________________________43
1 - Brevet et droit d'auteur : deux instruments complémentaires ____________________ 44
2 - Information rules : le secteur des nouvelles technologies a-t-il besoin de brevets ? ___ 45
3 - Le brevet : des distorsions... _____________________________________________ 49
4 - ... à corriger __________________________________________________________ 52
5 - Les offices et les tribunaux sont-ils efficaces ? _______________________________ 55
5 Vers une réforme ? _____________________________________________________61
1 - Une exemption ? ______________________________________________________ 62
2 - Un droit sui generis ? ___________________________________________________ 64
3 - Une réforme de l'examen ? ______________________________________________ 66
4 - Une réforme du contentieux ? ____________________________________________ 70
5 - Une doctrine de la technicité adaptée au logiciel ? ____________________________ 72
Conclusion _______________________________________________________________ 75
Annexe 1 Personnes rencontrées ______________________________________________ 77
Annexe 2 Bibliographie _____________________________________________________ 81
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Introduction












Brevets logiciels : Jospin s'oppose aux dérives américaines (Les Echos, 9 avril 2001).
Comme l'atteste la déclaration du Premier ministre, la question de la brevetabilité des
logiciels fait aujourd'hui, en France et en Europe, l'objet d'un débat qui dépasse largement le
cadre des seuls milieux universitaires.

Pour beaucoup d'observateurs, dont le Premier ministre, l'enjeu consiste pour l'Europe à
éviter une dérive du système des brevets telle qu'elle se produit aux États-Unis, où de
nombreux brevets ont été accordés sur des procédés informatiques et méthodes commerciales
utilisant des techniques évidentes. C'est ainsi que l'opérateur British Telecom a récemment
découvert qu'il possédait un brevet protégeant la méthode des liens hypertextes et que la
société Amazon.com de Jeff Bezos revendique l'exclusivité de la méthode one-click,
permettant d'effectuer des achats sur Internet en un seul clic.

En octobre 2000, la Commission européenne lançait une large consultation publique à propos
de la brevetabilité des programmes d'ordinateur. L'objectif poursuivi par la Commission est
de clarifier et d'harmoniser l'application d'une règle de droit ­ l'article 52 de la Convention
de Munich, accord signé en 1973 par un certain nombre d'États européens et qui forme
aujourd'hui la base du système européen des brevets ­ qui donne lieu à des interprétations
contradictoires et à des pratiques divergentes entre États membres de l'Union européenne,
susceptibles d'entraver le bon fonctionnement du Marché unique.

Comme dans le cas de la brevetabilité du vivant, les parties qui se sont exprimées se sont vite
retranchées dans deux camps et les débats ont pris l'allure d'une guerre de religion.

Pour les partisans d'une révision de la loi autorisant explicitement les brevets de programmes,
la protection actuelle des innovations d'ordre informatique est insuffisante pour rentabiliser
les investissements en R&D. Ils réfutent farouchement l'idée qu'autoriser la brevetabilité des
programmes d'ordinateur reviendrait à ouvrir le brevet aux méthodes commerciales et
intellectuelles, ce qui permettrait de breveter, par exemple, un mode de vente aux enchères ou
un théorème mathématique.

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Pour les opposants à la brevetabilité des logiciels, le renforcement de la protection pénaliserait
en premier lieu les petites entreprises et aboutirait à freiner l'innovation dans le secteur
informatique. Pire, il conduirait inéluctablement à la privatisation des idées.

Ce rapport propose une approche plus pragmatique de la question. L'approche choisie
s'inspire de l'analyse économique du droit, qui consiste à s'interroger sur les fondements et
les conséquences économiques des règles et décisions juridiques. Nous ne prétendons pas
réaliser la synthèse d'arguments et de positions qui nous paraissent souvent irréconciliables,
mais nous avons souhaité apporter l'éclairage de la science économique dans un débat qui se
situe souvent sur d'autres terrains, comme le terrain juridique, la loi sur les brevets faisant
l'objet d'interprétations contradictoires.

Ce rapport comporte cinq chapitres. Le premier chapitre souligne que le brevet est le résultat
d'un contrat social passé entre la société et l'inventeur : ce dernier se voit reconnaître un droit
exclusif d'exploitation de son invention, en échange de quoi il s'engage à révéler les secrets
qui lui ont permis de la réaliser. Tel n'a pas été toujours le cas : au Moyen Age, les titres de
propriété accordés ­ qui ne prenaient pas encore le nom de brevets ­ s'apparentaient à des
privilèges, étant donné le caractère discrétionnaire que revêtait leur délivrance. Pour assurer
l'équité du contrat social, la loi fixe des limites à la brevetabilité. Mais la formulation
ambiguë de certaines dispositions est à l'origine de controverses quant aux contours exacts du
champ de la brevetabilité.

Le deuxième chapitre s'intéresse plus particulièrement aux difficultés juridiques que soulève
ce nouveau venu qu'est le logiciel. Ce dernier étant devenu au cours de ces vingt dernières
années un enjeu industriel et économique majeur, le droit a évolué pour assurer la protection
de cet objet juridique non identifié. Le logiciel, qui peut être exprimé sous forme d'algorithme
(le scénario) ou sous forme de code source (le texte), a rapidement été assimilé à une oeuvre
littéraire. La réponse est donc tout naturellement venue du droit d'auteur. Mais à la fin des
années 1990, les offices américains et européens en charge de la délivrance des brevets ont
commencé à délivrer des brevets sur des inventions essentiellement constituées de logiciels.
La jurisprudence s'est engouffrée dans le silence ou l'ambiguïté des textes, au point de
susciter des controverses.

Le troisième chapitre revient sur les origines du débat ­ que l'on peut situer à la publication
par la Commission européenne, en 1997, du Livre vert sur le brevet communautaire et le
système des brevets en Europe ­ et sur son évolution, des protestations des tenants du logiciel
libre à la consultation publique engagée à la fin de l'an 2000 par la DG Marché intérieur puis
aux initiatives des États membres. L'étude de cas précis (Thomson Multimedia, Stac
Electronics, Unysis) illustre l'importance du débat. Malgré cela, les entreprises paraissent
dans l'ensemble peu sensibilisées et se font peu entendre, à l'inverse des opposants radicaux
au brevet logiciel, qui agitent la menace de la privatisation des idées et de la brevetabilité de
toutes les activités sociales.

Le quatrième chapitre procède à une analyse économique plus détaillée. Il revient notamment
sur les différences entre les protections offertes par le brevet et celles qu'accorde le droit
d'auteur. C. Shapiro et H. Varian, auteurs de l'ouvrage de référence Information Rules,
soulignent que la force d'une entreprise dans le domaine des nouvelles technologies de
l'information et de la communication provient non pas de son portefeuille de brevets, mais de
sa capacité à entrer la première sur de nouveaux marchés et à offrir des produits et services
complémentaires. Dès lors, le brevet ne serait pas indispensable à l'innovation dans le secteur
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des logiciels. Le brevet est également à l'origine d'un certain nombre d'effets néfastes qu'il
convient de corriger. Pour ce faire, il est nécessaire d'appliquer strictement la loi, c'est-à-dire
de ne pas délivrer des brevets sur des inventions dont le degré d'inventivité est insuffisant,
dont la nouveauté est contestable ou qui ne sont pas susceptibles de recevoir, en l'état, une
application industrielle précise. Le respect de la loi incombe aux offices et aux juges. Ce
chapitre détaille les raisons qui nous laissent penser que le respect de la loi n'est pas et ne peut
pas être convenablement assuré en l'absence de réformes.

Le cinquième et dernier chapitre détaille un certain nombre de réformes envisageables. La
meilleure réponse, selon nous, serait l'exclusion des logiciels du champ de la brevetabilité.
Mais cette solution ne peut être mise en oeuvre sans engendrer des difficultés juridiques et
politiques considérables, et doit donc être rejetée. Une solution alternative, avancée
notamment par le Conseil général des mines, serait la création d'un droit spécifique ­ droit sui
generis ­ pour les logiciels. Mais cette solution, elle aussi, se heurte à des difficultés et ne
paraît pas recueillir la faveur des autres pays européens. Nous proposons des mesures
concrètes pour améliorer le travail des offices et de la justice. Nous soulignons enfin la
nécessité d'une réflexion sur la doctrine de la technicité.

Nous tenons à remercier François Lévêque qui nous a guidé tout au long de ce travail ainsi
que les personnes que nous avons rencontrées (liste en Annexe 1), plus particulièrement Jean-
Paul Smets-Solanes, qui a mis à notre disposition sa base documentaire, la DiGITIP, qui a
bien voulu parrainer cette étude (notamment Maurice Cotte, chef du SIM, Benoît Formery et
Emmanuel Neuville, du STSI), Grégoire Postel-Vinay et les personnes présentes lors de notre
soutenance le 12 juin 2001 (Bernard Lang de l'INRIA, Alain Bouviala d'Adonix, et Gérard
Lefranc de Thales).

7




8




1
Le brevet :
favoriser l'innovation et diffuser la connaissance











Au Moyen Age, le souverain octroyait des privilèges aux inventeurs ou à ceux qu'il désirait
placer sous sa protection. Ceux-ci bénéficiaient alors d'une lex privata, qui les affranchissait
de la loi commune. Des lois mirent fin, dans les régions d'Europe les plus avancées (Venise
au XVème siècle, l'Angleterre au XVIIème siècle) au caractère discrétionnaire de ces privilèges,
qui prirent le nom de brevets (1).

Le brevet est le résultat d'un contrat social passé entre la société et l'inventeur : ce dernier se
voit reconnaître un droit exclusif d'exploitation de son invention, en échange de quoi il
s'engage à expliquer son invention de façon suffisante pour qu'elle puisse être diffusée.
Toutefois, le brevet, en raison de son caractère séquentiel (la protection offerte à l'inventeur
est limitée dans le temps), ne permet ni de fournir un niveau optimal d'incitations aux
entrepreneurs ni d'assurer une diffusion optimale des innovations dans l'économie (2).

Le droit français tente de tracer une ligne de démarcation entre ce qui est brevetable et ce qui
ne l'est pas. Notamment, une invention, pour être brevetable, doit être nouvelle et impliquer
une activité inventive, faute de quoi les droits accordés au titulaire du brevet seraient
considérés comme excessifs et indus. En outre, certains domaines sont clairement exclus de la
brevetabilité (les méthodes mathématiques, le corps humain...). Mais la rédaction des textes
prête parfois à confusion (3).

Enfin, la pratique du brevet est marquée par la lourdeur des procédures, les difficultés liées au
manque d'harmonisation entre les législations des différents pays. Malgré cela, le brevet
connaît un succès croissant, ce qui rend de plus en plus ardue la tâche des offices en charge du
traitement des demandes de brevets (4).
9




1 - Des privilèges aux brevets

A Sybaris, ville du sud de l'Italie colonisée par les Grecs à l'Antiquité, il était d'usage que si
un chef de cuisine inventait un plat d'une qualité exceptionnelle, tel était son privilège que nul
autre que lui-même ne pouvait en tirer profit avant une année afin que le premier à inventer
puisse seul posséder le droit de le réaliser pendant cette période, de manière à encourager les
autres à exceller par de telles inventions dans une vive compétition1. Cette pratique prit fin
avec la destruction de la ville, en l'an 510 avant J.-C.

Si la première preuve de l'existence de protections de la propriété intellectuelle remonte
à l'Antiquité, il faut attendre le Moyen Age, avec la naissance de nombreuses techniques
et inventions, pour assister à l'institutionnalisation de systèmes de privilèges.

Parallèlement, les premiers droits exclusifs d'exploitation sont accordés aux prospecteurs
miniers par Wenceslas II, roi de Bohème, de Saxe et de Silésie (1271-1305). Le système de
protection de la propriété industrielle, en Europe comme aux États-Unis, ne cessera de
s'inspirer du droit minier : les inventions, considérées comme des découvertes, donnent lieu à
la concession de droits exclusifs à durée limitée.

Les privilèges royaux s'étendent à de nombreux domaines et se répandent à l'ensemble de
l'Europe. Des litterae patentes (d'où le terme anglais de patent), lettres ouvertes sur lesquelles
est apposé le sceau royal, permettent à leur détenteur de bénéficier de droits exorbitants du
droit commun : monopole, titre ou encore emploi. Ces lettres royales, également appelées
litterae breves, sont à l'origine de l'appellation brevet d'invention.

En 1474, le Sénat de la République vénitienne, particulièrement prospère et innovante à
l'époque, adopte la Parte Veneziana, premier texte donnant une base légale au système de
brevets et énonçant ses principes : (i) encouragement de l'activité inventive, (ii) compensation
de l'inventeur pour les frais engagés et (iii) droit de celui-ci sur son invention sous réserve
que (iv) celle-ci présente un intérêt social.


Encadré 1 - Quelques dates
A la fin du XVème siècle, la naissance du

mercantilisme, notamment en France, en
XIIIème s. : premières litterae patentes.
Espagne et en Angleterre, donne un
1474 :
le Sénat de Venise vote la Parte
nouvel essor au système de privilèges. Ce
Veneziana.
XVIème s. : Dérives du système des privilèges
courant de pensée se fonde sur la conviction
sous l'influence mercantiliste.
que la source de la richesse réside dans
1623 :
Assainissement du système des
l'accumulation de métaux précieux et le
brevets en Angleterre par le vote du
développement de manufactures nationales
Statute of Monopolies.
fabriquant des produits de qualité, protégées
1877 :
Fin du mouvement libéral anti-
sur le marché domestique et à forte activité
brevets.
exportatrice.
1883 :
Convention de Paris.

L'État accorde désormais un monopole aux prospecteurs, aux inventeurs et aux importateurs
de technologies étrangères qui contribuent à l'accumulation d'or, à la compétitivité nationale
et à l'excédent de la balance commerciale.

Mais les critères sur lesquels se fonde la délivrance de privilèges demeurent imprécis, ce qui
alimente le caractère arbitraire du système, la corruption et le favoritisme. Si l'Angleterre

1 Athénée, IIIème siècle, Le banquet des sages.
10




d'Elizabeth I (1558-1603) parvient, par sa politique mercantiliste, à attirer les inventeurs de
toute l'Europe, et notamment de France, d'Allemagne et d'Italie, elle instaure des monopoles
sur la vente de produits tels que le sel, l'huile ou le verre, ce qui a pour conséquence de rendre
particulièrement impopulaire le système de litterae patentes royales. Après une longue
bataille avec la Couronne sur la question de savoir à qui revenait le droit d'accorder des
privilèges, le Parlement adopte en 1623 le Statute of Monopolies, texte abrogeant tous les
monopoles, à l'exception de ceux récompensant les véritables inventeurs de nouveaux

moyens de fabrication. Dorénavant, les brevets auront une durée maximale de quatorze ans
et ne pourront être accordés que pour un mode d'industrie inconnu dans le Royaume.

Le XIXème siècle marque l'avènement du brevet moderne. Les procédures d'obtention sont
allégées, des offices spécialisés sont créés (le United States Patent Office voit le jour en
1802), la loi prévoit des recours contre leurs décisions. Mais ces offices croulent rapidement
sous le nombre des demandes (qui passe de quelques dizaines par an au début du siècle2 à
quelques milliers dans les années 1850), et sont critiqués pour la médiocrité de l'examen. Si
les États-Unis réagissent en 1836 par la mise en place d'un examen des demandes portant sur
le fond (nouveauté, utilité, description suffisante), la France adopte un simple examen de
forme : la loi de 1844 dispose que les brevets sont délivrés sans examen préalable, aux
risques et périls des demandeurs, et sans garantie soit de la réalité, de la nouveauté ou du
mérite de l'invention, soit de la fidélité ou de l'exactitude de la description3. La question de
savoir s'il est préférable de limiter la procédure à un examen de forme, auquel cas le titre perd
de son prestige mais peut être obtenu plus aisément, ou s'il revient à l'office de réaliser un
examen approfondi, ce qui est coûteux mais confère au titre une forte présomption de validité,
est, comme nous le verrons plus loin, toujours d'actualité.

Sous l'effet de l'essor du libéralisme et du libre-échange, dont les vertus avaient été révélées
par des auteurs tels que Adam Smith ou David Ricardo, le système des brevets, accusé
d'entraver le commerce, fait l'objet d'une remise en cause dans les années 1860-1870 :
les Pays-Bas suppriment leur législation sur les brevets en 1869, la Chambre des Lords
procède en 1872 à une révision substantielle de la loi, la Suisse rejette à deux reprises à
l'occasion de référendums (1866 et 1882) l'introduction de brevets. Ce mouvement anti-
brevets s'essouffle dans les années 1870 : la récession de 1873 engendre un brusque retour au
protectionnisme et à l'utilisation de ses instruments traditionnels (barrières douanières,
brevets). En 1874, le gouvernement britannique retire la réforme, et en 1877, l'Empire
allemand adopte une loi sur les brevets.

En 1883, onze États4 signent la Convention de Paris, premier accord international en
matière de brevets d'invention. Le traité pose le principe de non discrimination entre
demandes émanant de résidents et de non-résidents, accorde une protection spéciale aux
inventions présentées lors des expositions internationales5, et reconnaît à l'inventeur ayant
formulé une demande de brevet dans un pays signataire de l'accord un droit de priorité pour
le dépôt dans les autres pays. En 2001, plus de cent cinquante pays ont adhéré à la convention.

2 Entre 1790 et 1793, le comité en charge de l'examen des demandes était composé du secrétaire d'État (Th.
Jefferson), du secrétaire à la guerre et de l'Attorney General. L'explosion du nombre des demandes mit fin dès
1793 à ce comité de haut niveau.
3 Jusqu'en 1968, les brevets portent la mention SGDG (sans garantie du gouvernement).
4 Les signataires de 1883 sont la Belgique, le Brésil, l'Espagne, la France, le Guatemala, l'Italie, les Pays-Bas, le
Portugal, le Salvador, la Serbie et la Suisse.
5 Le droit des brevets veut qu'une invention ayant fait l'objet d'une divulgation ne peut être brevetée. La
présentation lors d'une exposition internationale est la seule forme de divulgation qui ne détruise pas la
nouveauté de l'invention.
11




2 - Le brevet, un instrument imparfait

Les instruments de protection de la propriété intellectuelle visent deux objectifs : ils
cherchent d'une part à inciter à l'innovation, à la création, et d'autre part à assurer la

diffusion de la connaissance. Mais du fait que ces deux objectifs sont, pour des raisons
exposées ci-après, contradictoires, ces instruments se révèlent imparfaits.

Comme l'indique Kenneth Arrow, prix Nobel d'économie en 1972, dans un article fondateur6,
l'activité inventive consiste essentiellement, d'un point de vue économique, à produire de
l'information7. Or l'information est un bien qui présente deux caractéristiques rendant
délicate l'allocation des ressources : d'une part (i) il est impossible, sans dispositif technique
ou juridique adapté, d'exclure de l'usage un utilisateur même si ce dernier ne contribue pas au
financement du bien (on parle de non-excludabilité), ce qui fait que personne, sauf peut-être la
puissance publique qui peut lever des impôts ou encore un mécène particulièrement soucieux
de l'intérêt public, ne va produire le bien ; d'autre part (ii) la consommation du bien par un
individu se fait à coût nul, dans la mesure où cette consommation ne diminue pas la quantité
disponible pour les autres consommateurs (on parle de non-rivalité ou encore d'indivisibilité),
ce qui fait que fixer un prix (non nul) conduit à un rationnement sous-optimal.

En réponse à ces deux difficultés, qui font de l'innovation un bien collectif pur, selon la
terminologie de Samuelson8, aussi bien le brevet que le droit d'auteur agissent de manière
séquentielle : ils accordent à l'inventeur ou au créateur un monopole temporaire (vingt ans
dans le cas du brevet, soixante dix ans après le décès de l'auteur dans le cas du droit
d'auteur9), ce qui règle dans un premier temps le problème de non-excludabilité, en échange
de quoi le détenteur du titre de propriété10 renonce au secret11 et diffuse gratuitement
l'information à la source de son invention12 au terme de la validité du titre, ce qui règle dans
un second temps le problème de non-rivalité.

Ces instruments sont par construction imparfaits : ils ne permettent pas d'aboutir à
l'optimum social qui n'est atteint que lorsque (i) toutes les inventions dont le coût est inférieur
à la valeur sociale sont produites et lorsque (ii) l'information à la source de ces inventions est
accessible gratuitement. En effet, la diffusion de l'information pendant la période de validité
du titre de propriété intellectuelle est sous-optimale puisque cette diffusion est tarifée à prix
non nul par le détenteur du titre, et l'incitation à produire des inventions utiles n'est pas assez
forte, puisque l'inventeur ne peut être récompensé au-delà de cette période de validité (voir
Encadré 2).


6 K. Arrow, 1962, Economic Welfare and the Allocation of Ressources for Invention, National Bureau of
Economic Research, Princeton University Press.
7 The central economic fact about the processes of invention and research is that they are devoted to the
production of information.
8 P. Samuelson, 1954, The Pure Theory of Public Expenditures.
9 En France, la loi du 3 juillet 1985 relative à la protection des logiciels par le droit d'auteur (art. L123-5 du
Code de la propriété intellectuelle) instaurait une dérogation pour les programmes d'ordinateur en fixant la durée
de protection à 25 années à partir de la création de l'oeuvre. L'art. L123-5 CPI a été abrogé par la loi du 10 mai
1994 transposant la directive 91/250/CEE du 14 mai 1991. La durée de protection est désormais fixée par l'art.
L123-1 CPI modifié par la loi du 27 mars 1997.
10 Dans le cas du droit d'auteur, aucun titre n'est délivré, puisque la protection est automatique.
11 Dans certains cas, l'information est contenue dans le produit ou l'oeuvre (livre, oeuvre mu sicale...) ; alors le
secret n'est pas une alternative.
12 L'information diffusée doit permettre à un homme du métier de reconstituer l'invention (art. L612-5 CPI).
12




Encadré 2 - Le brevet, un instrument à caractère séquentiel

Considérons à titre d'exemple une invention de
coût 70 et de valeur sociale 100, et dont
Figure 1
l'entreprise peut tirer un bénéfice annuel de 3
pendant la période de validité du titre de propriété
intellectuelle. L'invention est socialement utile
diffusion
diffusion
puisque sa valeur sociale (100) est supérieure à
sous-optimale
optimale
son coût (70). Pourtant, si le titre dure vingt ans, il
n'est pas rentable pour la firme de produire cette
invention. En revanche, si le titre est valable
0
20
t
vingt-cinq ans, l'entreprise a intérêt à innover.
incitation
incitation
Seul un système où la durée de la protection est
optimale
sous-optimale
infinie permet de s'assurer que toutes les
inventions utiles sont rentables et donc réalisées.



Afin d'atteindre l'optimum social qui, on l'a vu, ne peut être obtenu par les instruments de
protection de la propriété intellectuelle tels qu'ils existent aujourd'hui, l'analyse économique
recommande l'intervention de la puissance publique via le financement de l'innovation

par un système de récompenses13. Cette préconisation peut paraître séduisante, mais
suppose une administration omnisciente, disposant de toutes les informations et ne pouvant
être induite en erreur par l'inventeur dans son évaluation de l'utilité sociale de l'invention.
Certains auteurs14 montrent que ce problème classique d'asymétrie d'information peut être
contourné par l'instauration d'un système optionnel de récompense, où l'inventeur choisirait
lui-même soit d'être récompensé par la puissance publique15, soit de se voir octroyer un titre
de propriété intellectuelle.

Hormis dans les pays socialistes, le système de récompense n'a jamais été utilisé pour
financer les inventions
. Il ne correspond certainement pas à la philosophie américaine qui
vise à limiter l'intervention de la puissance publique à la distribution initiale de droits de
propriété16. D'autre part, John Stuart Mill, économiste anglais du XIXème siècle, écrivait : en
général un privilège exclusif, d'une durée temporaire, est préférable, parce que la
récompense dépend de l'utilité de l'invention, et la récompense est d'autant plus élevée que
celle-ci est utile à la collectivité, et parce qu'elle est payée par les personnes à qui cette
invention rend service : les consommateurs du bien considéré. Enfin, l'existence
d'instruments de protection de la propriété intellectuelle fonctionnant sur un mode séquentiel
en accordant des monopoles provisoires est suggérée, sinon garantie, par la Constitution des
États-Unis17.

13 Cette préconisation repose sur l'hypothèse que les fonds publics peuvent être levés de manière non distorsive.
14 S. Shavell et T. van Ypersele, 1998, Rewards versus Intellectual Property Rights.
15 La somme reçue serait proportionnelle aux ventes réalisées. Ce test de marché rendrait vaines les demandes de
récompense pour des inventions fantaisistes (pour peu que l'on veille à ce que le producteur ne se prête pas à des
manipulations du marché !).
16 Le rôle de la puissance publique est, selon Coase, prix Nobel d'économie en 1991, d'internaliser les
externalités en assurant la distribution et le respect (enforcement) des droits de propriété. Selon cette logique, la
lutte contre les émissions polluantes passe naturellement par la distribution de permis échangeables.
17 Constitution des États-Unis, Article premier, Section 8 : The Congress shall have power to promote the
progress of science and useful arts by securing for limited times to authors and inventors the exclusive right to
their respective writings and discoveries
.
13




3 - Les critères de la brevetabilité

Le contrat social passé entre la collectivité et l'inventeur suppose que ce dernier soit
justement rémunéré, et notamment qu'il ne bénéficie pas de privilèges indus. Les critères ­
positifs et négatifs ­ de la brevetabilité visent à tracer une ligne de démarcation entre ce qui
peut faire l'objet d'une appropriation privée et ce qui ne peut être accaparé et soustrait au libre
usage.

L'article L611-1 du Code de la propriété intellectuelle, qui indique que toute invention peut
faire l'objet d'un titre de propriété industrielle18 qui confère à son titulaire [...] un droit
exclusif d'exploitation, pose les principes de la brevetabilité en explicitant le droit qu'accorde
la société à l'inventeur ­ le droit exclusif d'exploitation.

L'article L611-10 CPI énonce les critères positifs de la brevetabilité : sont brevetables les
inventions nouvelles impliquant une activité inventive et susceptibles d'application
industrielle.

Ainsi, pour être brevetable, une Encadré 3 - Le Code de la propriété intellectuelle
invention doit tout d'abord être
nouvelle. En d'autres termes, Livre VI : Protection des inventions et des
l'invention ne doit pas être comprise
connaissances techniques.
dans l'état de la technique, qui est Titre Ier :
Brevets d'invention.
constitué par tout ce qui a été rendu Chap. Ier : Champ d'application.
Chap. II : Dépôt et instruction des demandes.
accessible au public19 avant la date de Chap. III : Droits attachés aux brevets.
dépôt de la demande de brevet par une Chap. IV : Application de conventions internationales.
description écrite ou orale, un usage Chap. V : Actions en justice.
ou tout autre moyen (Art. L611-11
CPI).
Clef de lecture : le Code de la propriété intellectuelle,

comme tout Code (Code des impôts...) est numéroté de
L'invention doit ensuite impliquer manière à faciliter la lecture et la recherche. Ainsi,
une activité inventive. Il faut que l'article L611-1 CPI se situe à la partie législative du
pour un homme du métier, elle ne Code de la propriété intellectuelle, dans le Livre VI
découle pas d'une manière évidente de (Protection des inventions et des connaissances
techniques), au Titre Ier (Brevets d'invention), Chapitre
l'état de la technique (Art. L611-14 Ier (Champ d'application), Section 1 (Généralités).
CPI).

Enfin, l'invention doit être susceptible d'application industrielle, c'est-à-dire que son objet
doit pouvoir être fabriqué ou utilisé dans tout genre d'industrie, y compris l'agriculture (Art.
L611-15 CPI). Ce critère vise à exclure de la brevetabilité les idées : l'invention brevetable se
définissant comme une solution technique à un problème technique, on ne peut breveter une
idée mais seulement les moyens techniques mis en oeuvre pour la concrétiser.

La loi définit de manière positive à l'aide des trois critères énoncés ci-dessus ce qu'est
une invention brevetable, mais exclut également de manière expresse certains domaines
et certaines inventions du champ de la brevetabilité. Ainsi, la loi sur la bioéthique du 29
juillet 1994 (dont les termes sont repris dans l'article L611-17 CPI) stipule que le corps
humain, ses éléments et ses produits ainsi que la connaissance de la structure totale ou

18 Outre les brevets, les titres de propriété industrielle prévus par la loi sont (i) les certificats d'utilité et (ii) les
certificats complémentaires de protection rattachés aux brevets.
19 Par public, on entend toute personne non tenue contractuellement à la confidentialité.
14




partielle d'un gène humain ne peuvent, en tant que tels, faire l'objet de brevets. De même, ne
sont pas brevetables les inventions dont la publication ou la mise en oeuvre serait contraire à
l'ordre public ou aux bonnes moeurs, [...] les races animales et les procédés [...] biologiques
d'obtention de végétaux ou d'animaux (Art. L611-17 CPI).

Si l'interprétation des dispositions de l'article L611-17 CPI, ne pose pas de difficulté
particulière, la rédaction des articles L611-10 et L611-16 CPI est plus subtile et peut
prêter à confusion (voir Encadré 4). En effet, il est par exemple légitime de s'interroger sur
la signification de l'article L611-10 : (i) une théorie scientifique est-elle non brevetable parce
qu'elle n'est pas considérée par la loi comme une invention, ou (ii) une théorie scientifique,
dans la mesure où elle n'est pas susceptible d'application industrielle, n'est pas une invention,
ce qui a pour conséquence de la rendre non brevetable20 ?

Le manque de clarté de la ligne de démarcation séparant ce qui est brevetable et ce qui
ne l'est pas a joué un rôle déterminant dans la genèse du débat sur la brevetabilité des
programmes d'ordinateur.


Encadré 4 - Les articles L611-10 et L611-16 CPI

Art. L611-10 CPI :
Ne sont pas considérés comme des inventions [...] notamment : les découvertes ainsi que les théories
scientifiques et les méthodes mathématiques ; les créations esthétiques ; les plans, principes et
méthodes dans l'exercice d'activités intellectuelles, en matière de jeu ou dans le domaine des activités
économiques, ainsi que les programmes d'ordinateur ; les présentations d'informations.

Art. L611-16 CPI :
Ne sont pas considérées comme des inventions susceptibles d'application industrielle [...] les
méthodes de traitement chirurgical ou thérapeutique du corps humain [...].


4 - Le brevet en pratique

Le brevet est à la fois (i) un document à caractère technique et (ii) un titre de propriété. Ceci
explique qu'il soit divisé en deux parties bien distinctes : (i) la description de l'invention et
(ii) les revendications qui définissent et limitent les droits de l'inventeur.

En échange de la reconnaissance d'un droit sur son invention, le titulaire du brevet doit
rompre le secret et rendre accessible l'information à la source de son invention. C'est la raison
pour laquelle la première partie du brevet comporte la description, qui doit exposer
l'invention [...] de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse
l'exécuter (Art. L612-5 CPI). Cette description doit notamment permettre de répondre aux
questions suivantes : quel est le domaine technique de l'invention ? quel problème veut-on
résoudre ? comment ce problème est-il résolu en l'état actuel de la technique ? quelles
solutions nouvelles propose-t-on ? comment celles-ci peuvent-elles être mises en oeuvre ?
quelles sont les possibles applications industrielles de l'invention ?


20 Dans le premier cas, toute théorie scientifique est, par définition, exclue du champ de la brevetabilité, alors
que dans le second cas, seules les théories scientifiques insusceptibles d'application industrielle sont exclues de
la brevetabilité.
15




Depuis 1968, la loi française stipule que le brevet doit comporter des revendications. Celles-
ci définissent l'objet de la protection demandée. Elles doivent être claires et concises et se
fonder sur la description (Art. L612-6 CPI). En d'autres termes, c'est à l'inventeur qu'il
revient de définir les droits qui seront les siens lorsque le brevet sera délivré. Pour éviter que
les revendications ne soient excessives, le législateur a tenu à préciser que celles-ci ne doivent
pas déborder au-delà de ce qui fait l'objet de la description. Encore une fois, du droit se
dégagent les principes à la base du contrat social conclu entre la société et l'inventeur : ce
dernier reçoit un privilège à la mesure de sa contribution au progrès technique.


Encadré 5 - Les conventions internationales en matière de brevet

Les Figures 1, 2 et 3 ci-dessous décrivent les procédures auxquelles a accès un inventeur désireux
d'obtenir une protection en France, en Espagne, au Royaume-Uni et en Italie.

L'inventeur peut effectuer un premier dépôt auprès de l'INPI pour obtenir une protection en France,
puis, dans un délai d'un an, procéder au dépôt auprès des offices des trois autres pays. Pendant cette
période d'une année, l'inventeur dispose d'un droit de priorité sur toute autre personne qui
souhaiterait faire breveter l'invention dans un des pays signataires de la Convention de Paris.

L'inventeur peut également demander un brevet européen. Le dépôt peut s'effectuer soit auprès de
l'office national, soit auprès de l'Office européen des brevets (OEB) basé à Munich. La demande fait
alors l'objet d'un examen de fond. Si l'invention satisfait aux exigences de la brevetabilité, l'OEB
décerne un brevet européen, titre valable dans les pays désignés par le demandeur (en l'occurrence,
l'inventeur demandera que le titre soit valable en France, en Espagne, au Royaume-Uni et en Italie).

Enfin, l'inventeur peut recourir à la procédure PCT, c'est-à-dire faire une demande de brevet par la
voie internationale. Le dépôt s'effectue dans un office national ou à l'OEB. L'office récepteur réalise
alors une recherche en antériorité. Fort des conclusions de cette recherche l'inventeur s'adresse aux
offices des pays dans lesquels il souhaite obtenir une protection.




Figure 1 ­ Convention de Paris (1883)

procédure Fr.
Fr.
dépôt Esp.
procédure Esp.
Esp.
dépôt
dépôt RU
procédure RU
RU
INPI
dépôt It.
procédure It.
It.
priorité : 1 an
Figure 2 ­ Convention de Munich (1973)
Fr.
dépôt
Esp.
procédure OEB
brevet européen
INPI/OEB
RU
It.
Figure 3 ­ Traité de Washington (1970)
procédure Fr.
Fr.
dépôt
recherche
procédure Esp.
Esp.
PCT
d'antériorité
procédure RU
RU
procédure It.
It.




16




Si la durée du brevet (vingt ans) a fait l'objet d'une harmonisation internationale à
l'occasion de la négociation des accords ADPIC en 1993, le système de brevet fonctionne

encore selon un principe de couverture nationale. Pour que l'invention soit protégée dans
plusieurs pays, le déposant dispose de plusieurs solutions (voir Encadré 5) : (i) dépôt initial
dans un pays puis extension à d'autres pays selon les dispositions de la Convention de Paris
(1883), (ii) demande d'un brevet européen, titre institué par la Convention de Munich (1973)
ou (iii) procédure PCT21 prévue par le Traité de Washington (1970).


Encadré 6 - La procédure auprès de l'INPI

La Figure 1 ci-dessous décrit le processus d'obtention d'un brevet auprès de l'INPI. Ce processus
comporte plusieurs étapes essentielles :

1. Le dépôt de la demande de brevet s'effectue à l'INPI.
2. L'inventeur jouit d'un droit exclusif d'exploitation dès le jour du dépôt de la demande (Art. L613-
1 CPI). Toutefois, la violation de ce droit par un tiers ne peut donner lieu à indemnité qu'à partir
du jour de la publication de la demande (Art. L615-4 CPI, voir point 4.).
3. Pour des raisons liées à la Défense nationale, l'inventeur ne peut divulguer son invention et
l'exploiter librement qu'après autorisation (Art. L612-9 CPI). Cette autorisation est accordée de
plein droit au terme d'un délai de cinq mois à compter de la date de dépôt.
4. Au plus tard 18 mois après le dépôt de la demande, celle-ci fait l'objet d'une publication dans le
bulletin officiel de la propriété industrielle.
5. Dès lors que la demande a fait l'objet d'une publication, les tiers sont fondés à formuler des
observations à l'INPI quant aux caractères nouveau et inventif de l'objet de la demande (Art.
L612-13 CPI).
6. La demande donne lieu à l'établissement d'un rapport de recherche sur les éléments de l'état de la
technique qui peuvent être pris en considération pour apprécier les caractères nouveau et inventif
de l'objet de la demande (Art. L612-14 CPI). L'INPI sous-traite à l'OEB la production de ce
rapport.
7. Après établissement du rapport de recherche, l'INPI délivre le brevet, sauf si l'objet de la demande
de brevet (i) est manifestement exclu du champ de la brevetabilité (au sens de l'art. L611-10 CPI),
s'il (ii) est manifestement insusceptible d'application industrielle, ou si (iii) le rapport de recherche
met en évidence une absence manifeste de nouveauté. Il convient de noter que l'INPI ne peut
refuser de délivrer le titre lorsque un des trois défauts mentionnés ci-dessus est relevé mais n'est
pas manifeste, et, de même, ne peut s'opposer à la délivrance du brevet sous prétexte d'absence
d'inventivité, fût-elle manifeste.
8. Le brevet, une fois délivré, peut être contesté, par voie d'action en nullité comme par voie
d'exception, auprès des Tribunaux de grande instance (TGI) et des Cours d'appel. Le brevet
bénéficie d'une présomption simple de validité (foi est due au titre). Le brevet tombe si le titulaire
ne règle pas les taxes annuelles de maintien en vigueur.





rapport de
6

Figure 1
OEB
recherche
1
4
7
dépôt
publication
délivrance
8
divulgation
0
5
18
? mois
droit exclusif
3
observations
d'exploitation
des tiers
5
2





21 PCT signifie Patent Co-operation Treaty.
17




Si les accords internationaux précités facilitent l'obtention d'une couverture élargie à
plusieurs pays, ils se gardent d'harmoniser aussi bien les pratiques des offices nationaux, que
les droits attachés aux brevets nationaux. Par exemple, l'Institut national de la propriété
industrielle (INPI), établissement public en charge de la délivrance des brevets français, ne
procède pas à un examen de fond, à la différence des offices américain, européen, britannique
et allemand. Par ailleurs, un brevet déclaré invalide dans un pays peut être jugé valable dans
un autre pays ; les peines et amendes prévues en cas de contrefaçon diffèrent d'un pays à
l'autre. La procédure auprès de l'INPI pour l'obtention d'un brevet national est décrite à
l'Encadré 6.

En France, la contrefaçon est lourdement sanctionnée : jusqu'à deux ans d'emprisonnement et
un million de francs d'amende lorsque la contrefaçon résulte d'une atteinte volontaire aux
droits du propriétaire du brevet (Art. L615-14 CPI). Il convient également de noter que la
fourniture de moyens permettant la mise en oeuvre de l'invention brevetée constitue une
contrefaçon. Toutefois, ce dispositif répressif est souvent peu efficace, dans la mesure où la
charge de la preuve incombe au titulaire du brevet et où les coûts et délais de la procédure
sont de nature à dissuader une petite entreprise de l'engager.

Enfin, ces dernières années ont été marquées par une forte croissance du nombre de demandes
de brevets, ce qui rend de plus en plus délicat le travail des offices. Ainsi, le nombre de
demandes transitant par l'Office européen des brevets22 (OEB), comme le nombre de
demandes de protection pour la France23 (toutes voies confondues) ont augmenté

d'environ 54 % entre 1995 et 1999.


Demandes auprès de l'OEB (en milliers)
Demandes concernant la France (en milliers)
130
140
130
110
120
90
110
100
70
90
50
80
1995
1996
1997
1998
1999
1995
1996
1997
1998
1999




Le délai d'obtention d'un brevet européen auprès de l'OEB oscille actuellement entre quatre
et cinq ans, ce qui paraît excessif, si l'on compare ce délai au rythme de l'innovation dans
certains secteurs. Toutefois, il convient de noter que l'inventeur jouit des droits accordés par
la loi à compter du jour de dépôt de la demande auprès de l'office (voir Encadré 6).


22 OEB, 1999, Rapport annuel.
23 INPI, 1999, Rapport annuel.
18




EN BREF :
· Le brevet résulte d'un contrat social entre la société et l'inventeur. Ce dernier se voit
reconnaître un droit exclusif d'exploitation pendant vingt ans. L'invention, qui
tombe dans le domaine public à échéance de ce droit, bénéficie à la société toute
entière.
· Par construction, le brevet est un instrument imparfait.
· Pour éviter que ne soit accordé à l'inventeur un privilège indu au détriment de la
société, la loi et les conventions internationales tracent, non sans ambiguïtés, une
ligne de partage entre ce qui est brevetable et ce qui ne l'est pas.
· Malgré les progrès sensibles enregistrés ces dernières années, les procédures
d'obtention de brevets demeurent excessivement complexes, coûteuses, et peu
harmonisées au niveau international.

19





20




2
Le logiciel :
un vide juridique ?











La nouvelle économie suscite des problèmes juridiques originaux. La protection juridique des
logiciels en est un. Parce qu'elle détermine les conditions dans lesquelles les entreprises
peuvent se faire concurrence et rentabiliser leurs investissements de recherche et
développement, le droit doit fixer précisément les règles de cette protection (1).

Il faut tout d'abord délimiter l'objet du discours, c'est-à-dire définir ce qu'est un logiciel. Si
en Europe cette définition reste implicite, ce n'est pas le cas outre-Atlantique. Au Canada, un
programme d'ordinateur est un ensemble d'instructions ou d'énoncés destiné, quelle que soit
la façon dont ils sont exprimés, fixés, incorporés ou emmagasinés, à être utilisé directement
ou indirectement dans un ordinateur en vue d'un résultat particulier (2).

Il convient ensuite d'examiner comment les instruments de protection classiques peuvent
s'appliquer aux logiciels. Le droit d'auteur confère à l'auteur d'un logiciel un droit moral et
un droit patrimonial sur son oeuvre (3). La protection du secret industriel permet à une
entreprise de rester maître de certaines innovations logicielles (4).

Enfin, depuis quelques années, les offices français, européen et américain délivrent des
brevets sur des innovations reposant sur des logiciels. La jurisprudence en matière de brevets
logiciels s'est construite progressivement (5). Mais, parce que les textes sont ambigus,
l'interprétation des offices ne fait pas l'unanimité (6).
21




1 - Une Nouvelle Frontière

Les pionniers explorant le Nouveau Monde ont progressivement mis en place les règles d'une
nouvelle société. Si le territoire américain n'était pas vierge, puisque de multiples civilisations
s'y étaient déjà épanouies, il l'était en un sens tout au moins pour les nouveaux arrivants : il
était sans lois. Aussi, de Christophe Colomb aux Articles de Confédération de 1779, a-t-il
fallu attendre près de trois siècles. De même, le développement de la nouvelle économie met à
jour des vides juridiques qui constituent une Nouvelle Frontière pour les juristes de notre
époque. Entre continuité et rupture, entre querelles de comptoir et débats idéologiques, le
monde du logiciel connaît lui aussi ses Guerre d'Indépendance et de Sécession qui, a défaut
de répandre le sang, font couler beaucoup d'encre.

Les entreprises évoluent dans un cadre concurrentiel. Le logiciel devenant un enjeu industriel
et économique majeur (voir Chapitre 3), les règles de la juste concurrence en la matière
doivent être précisées. Parallèlement au développement de la technique, le droit évolue pour
répondre à cette attente. Dans ce document nous nous intéressons à un aspect particulier du
problème24 : la protection juridique des logiciels.

Après un nécessaire effort de définition, nous pourrons aborder cette question. Nous verrons
que cette protection existe déjà au travers de multiples instruments juridiques que nous
examinerons.


2 - Les logiciels et les programmes d'ordinateur

L'arrêté du 22 décembre 1980 relatif à l'enrichissement du vocabulaire informatique définit
un logiciel comme un ensemble de programmes, procédés, règles et éventuellement de la
documentation, relatifs au fonctionnement d'un ensemble de traitements de données.

Reste à définir ce qu'est un programme. Or, comme le font remarquer R. Hart, P. Holmes et J.
Reid25, il n'y a pas de définition unanimement acceptée des programmes d'ordinateur. En
particulier, la directive du Conseil européen du 14 mai 1991 concernant la protection
juridique des programmes d'ordinateur (91/250/CEE) ne donne pas de définition. Cette
absence s'explique par une volonté de ne pas figer une définition sans cesse remise en cause
par l'évolution de la technique.

Les États-Unis et le Canada ont fait le choix inverse et nous proposent des définitions
raisonnables. La définition américaine26 est la suivante : a computer program is a set of
statements or instructions to be used directly or indirectly in a computer in order to bring
about a certain result. La loi canadienne sur le droit d'auteur donne une définition
essentiellement équivalente, cette fois disponible en français : un programme d'ordinateur est
un ensemble d'instructions ou d'énoncés destiné, quelle que soit la façon dont ils sont
exprimés, fixés, incorporés ou emmagasinés, à être utilisé directement ou indirectement dans
un ordinateur en vue d'un résultat particulier.


24 Le problème de la concurrence dans le monde du logiciel est évidemment plus vaste, comme le montre par
exemple le procès anti-trust dont Microsoft fait l'objet.
25 R. Hart, P. Holmes et J. Reid, 1999, The Economic Impact of Patentability of Computer Programs, Report to
the European Commission.
26 Copyright Law, Section 101.
22




Encadré 7 - Algorithme, code source, code binaire...

Pour un programme donné, on distingue en général :
· l'algorithme qui est la description précise mais non formalisée des opérations qui composent le
programme. Elle est rédigée en français courant ;
· le code source qui est l'expression de l'algorithme dans un langage compréhensible par
l'ordinateur, un langage informatique . Il est écrit par le programmeur à partir de l'algorithme ;
· le code binaire qui est le code exécuté par l'ordinateur. Il est le résultat d'une traduction
automatique du code source en langage machine. Le langage machine est la langue maternelle de
l'ordinateur : une suite de 0 et de 1. Cette traduction est appelée compilation. Inversement, la
décompilation consiste à reconstruire le code source (voire l'algorithme) à partir du code binaire.

Ainsi, pour calculer la somme des entiers de 1 à n,
l'algorithme sera :

initialiser total à 0, pour i variant de 1 à n ajouter i à total
le code source (en langage C) : total=0; for(i=1; i<=n; i++) total=total+i;
le code binaire :

110110110101101111011...


Notons que si la formule préférée des journalistes reste brevet logiciel, les spécialistes
parleront plutôt de brevetabilité des programmes d'ordinateur, et les puristes de brevetabilité
des fonctionnalités de programmes d'ordinateur. En pratique, c'est-à-dire lorsque la
distinction ne nous paraît pas pertinente, nous nous permettrons la même imprécision de
langage en confondant les termes de logiciel et de programme d'ordinateur. La dernière
formulation souligne que les brevets, à l'inverse du droit d'auteur (voir Section 3), s'attachent
à des idées, des principes mis en oeuvre dans les programmes et non aux programmes eux-
mêmes.

Par ailleurs, l'Encadré 7 définit quelques termes techniques utiles.

3 - Le droit d'auteur

Depuis 1984 en France, les logiciels sont protégés par le droit d'auteur. L'article L112-1 du
Code de la propriété intellectuelle stipule que l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette
oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à
tous. Ce droit comporte des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs
d'ordre patrimonial [...] (voir Encadré 8). L'article L112-2 CPI précise que sont considérés
notamment comme oeuvres de l'esprit [...] : les livres, brochures et autres écrits littéraires,
artistiques et scientifiques ; [...] les logiciels, y compris le matériel de conception
préparatoire [...].

A l'échelon européen, le droit d'auteur sur les programmes d'ordinateur a fait l'objet d'une
harmonisation par une directive du 14 mai 1991. Celle-ci introduit des dispositions
spécifiques aux programmes d'ordinateur27 (voir Encadré 9). Elle indique surtout dans son
article premier : la protection prévue par la présente directive s'applique à toute forme
d'expression d'un programme d'ordinateur. Les idées et principes qui sont à la base de
quelque élément que ce soit d'un programme d'ordinateur, y compris ceux qui sont à la base
de ses interfaces, ne sont pas protégés par le droit d'auteur en vertu de la présente directive.


27 Le lecteur remarquera que le droit européen s'intéresse aux programmes d'ordinateur, alors que le droit
français se consacre aux logiciels !
23




Encadré 8 - Droit patrimonial et droit moral

Le droit d'auteur reconnaît à l'auteur d'une oeuvre de l'esprit originale et à ses ayants droit :

· un droit moral : droit au respect de l'oeuvre, droit à la divulgation, droit de retrait et de repentir et
droit à la paternité. Les droits moraux sont perpétuels, inaliénables et imprescriptibles. Le droit au
respect de l'oeuvre permet par exemple à l'auteur de s'opposer à toute atteinte à l'intégrité ou à
l'esprit de l'oeuvre. Toute adaptation d'une oeuvre préexistante devra obtenir l'accord express de
l'auteur de l'oeuvre initiale.

· un droit patrimonial : du fait même de sa création, l'auteur jouit, sa vie durant, du droit exclusif
d'exploiter ou de faire exploiter son oeuvre et d'en obtenir une rémunération. A son décès, ce droit
persiste au bénéfice de ses ayants droit pendant l'année civile en cours et les soixante-dix années
qui suivent.


Bref, l'auteur d'un programme d'ordinateur (ou son employeur, voir Encadré 9) en est le
propriétaire et jouit de ce fait d'un droit exclusif d'exploitation. Il peut par la suite négocier ce
droit au travers de contrats de licence, qui permettent à la fois de limiter la responsabilité de
l'auteur du programme et les droits des utilisateurs28. Ainsi, certains contrats de licence
accordent le droit d'utiliser un logiciel dans un cadre privée et non dans un contexte
professionnel. Le piratage des logiciels, le non-respect des contrats de licence est puni par la
loi.

Le droit d'auteur s'oppose à la reproduction de tout ou partie d'un livre ; par contre il
n'interdit pas de s'inspirer de son scénario. De même le droit d'auteur s'applique à toute
forme d'expression d'un programme (en particulier le code source et le code binaire) et non
aux idées et principes à la base de ce programme, c'est-à-dire aussi bien les procédés
informatiques mis en oeuvre que les fonctionnalités proposées. Si un logiciel de traitement
d'image propose des filtres tels que : flou, sépia, mosaïque, etc. le droit d'auteur n'interdit pas
de produire un logiciel concurrent offrant les mêmes filtres, c'est-à-dire les mêmes
fonctionnalités, et reposant sur des algorithmes similaires, à la seule condition qu'il s'agisse
d'une oeuvre originale29.


Encadré 9 - Droit d'auteur : dispositions spécifiques aux programmes d'ordinateur

Lorsqu'un programme d'ordinateur est créé par un employé dans l'exercice de ses fonctions ou
d'après les instructions de son employeur, seul l'employeur est habilité à exercer tous les droits
patrimoniaux afférents au programme d'ordinateur ainsi créé, sauf dispositions contractuelles
contraires.

La copie d'un programme est soumise à autorisation du titulaire du droit. Seules les copies de
sauvegarde ne peuvent pas être interdites.

L'autorisation du titulaire des droits n'est pas requise lorsque la reproduction du code ou la
traduction de la forme de ce code [...] est indispensable pour obtenir les informations nécessaires à
l'interopérabilité d'un programme d'ordinateur créé de façon indépendante avec d'autres
programmes [...].

28 Dans la limite de la légalité : il est par exemple abusif d'interdire la revente à un tiers d'une licence
préalablement acquise. On dit que la première vente épuise le droit de distribution.
29 L'originalité n'implique pas la nouveauté !
24




4 - Le secret industriel

Pour se protéger, le plus simple est de se taire. Cela s'appelle le secret. Primitif, mais efficace,
d'autant que le secret n'exclut pas le profit. Le secret de fabrication permet par exemple de
vendre un produit tout en interdisant concrètement à un concurrent de vendre le même
produit, puisqu'il sera incapable de le produire. Au contraire il ne protège en rien le design du
produit, qui, par définition, est directement observable sur le produit.

Une entreprise peut concevoir et utiliser un logiciel sans jamais le diffuser en dehors de
l'entreprise. Mieux, en diffusant uniquement le code binaire d'un logiciel tout en gardant
secret les algorithmes et codes sources associés, on peut protéger une partie des idées qui font
l'originalité de ce logiciel. Toujours dans l'exemple d'un logiciel de traitement d'image, les
filtres reposant sur des algorithmes sophistiqués enfouis au coeur du logiciel seront
raisonnablement protégés contre l'imitation, puisque réinventer ces algorithmes demanderait
un travail conséquent. Inversement un filtre simple, même s'il est nouveau, ne le sera pas. Le
secret du code source permet donc de préserver certaines fonctionnalités des logiciels, mais
est inopérant pour d'autres, en particulier pour tout ce qui concerne l'interface utilisateur.

Le secret industriel est protégé par la loi. Les contrats de travail permettent par exemple des
clauses de confidentialité. Grâce à elles il est possible de museler des collaborateurs. S'il est
non seulement techniquement difficile de reconstruire le code source à partir du code binaire
et par là obtenir les secrets de fabrication d'un logiciel, c'est avant tout proscrit par la loi : la
décompilation est interdite en Europe et aux États-Unis.

Par conséquent, le secret industriel a un sens dans le domaine du logiciel, une efficacité
certaine au moins à court terme, mais un champ d'application intrinsèquement limité.


5 - Le brevet logiciel

Dans le premier chapitre, nous avons vu ce qu'est un brevet, ce qu'il protège et comment il est
obtenu. Dans la suite de ce document nous réfléchirons à l'opportunité d'appliquer le droit des
brevets aux logiciels. Force est de constater que les offices, aussi bien l'INPI que l'OEB et
l'USPTO (United States Patent and Trademark Office), ont répondu depuis déjà quelques
années pour nous à cette question et délivrent des brevets logiciels.

D'après une étude réalisée par l'Observatoire des Sciences et des Techniques (OST) publiée
en décembre 199930, 843 demandes françaises de brevets logiciels ont été publiées par l'INPI
entre 1995 et 1998, 676 ont abouti à une délivrance de brevet, 47 ont été rejetées, 120 étaient
encore en cours de procédure à la fin de l'étude31. D'autre part, 4564 demandes européennes
directes ont été publiées entre 1995 et 1997 par l'OEB.

Selon l'INPI le nombre de demandes de brevets logiciels croît d'environ 30 % par an.

La Classification internationale des brevets est une arborescence extrêmement riche. Les
brevets logiciels correspondent essentiellement à la catégorie G06F. Le détail des catégories
retenues par l'étude de l'OST est présenté dans l'Encadré 10.

30 Observatoire des Sciences et des Techniques, 1999, Les déposants de brevets en France et en Europe : le
domaine des logiciels.
31 A notre connaissance, aucune étude postérieure n'a été publiée par l'INPI ou un organisme indépendant.
25




Encadré 10 - Classification internationale des brevets (extraits)

Branches principales de la classification :
A.
Nécessités courantes de la vie
B.
Techniques industrielles diverses ; transports
C.
Chimie ; métallurgie
D.
Textiles ; papiers
E.
Construction fixes
F.
Mécanique ; éclairage ; chauffage ; armement ; sautage
G.
Physique
H.
Electricité

Sous-classes (exemples) :
G06
Calcul ; comptage
G06F Traitement électrique de données numériques

Catégories retenues par l'étude de l'Observatoire des Sciences et des Techniques :
G06F-005+
Méthodes ou dispositions pour la conversion de données, sans modification de l'ordre
ou du contenu des données manipulées
G06F-007+
Méthodes ou dispositions pour la conversion de données, en agissant sur l'ordre ou le
contenu des données manipulées
G06F-009+
Dispositions pour la commande par programme
G06F-011+
Détection d'erreurs ; correction d'erreurs ; contrôle de fonctionnement
G06F-012+
Accès, adressage ou affectation dans des systèmes ou achitecture de mémoire
G06F-013+
Interconnexion ou transfert d'information ou d'autres signaux entre mémoires,
dispositifs d'entrée/sortie ou unités de traitement
G06F-015+
Calculateurs numériques en général ; équipement de traitement de données en général
G06F-017+
Equipement ou méthodes de traitement de données ou de calcul numérique,
spécialement adaptés à des fonctions spécifiques
G06F-019+
Equipement ou méthodes de traitement de données ou de calcul numérique,
spécialement adaptés à des applications spécifiques
G06T
Traitement ou génération de données d'image
H04L-012/16 Transmission d'information numérique ; réseaux de données à commutation ;
dispositions pour la fourniture de services particuliers aux abonnés
H04L-012/18 Transmission d'information numérique ; réseaux de données à commutation ;
dispositions pour la fourniture de services particuliers aux abonnés pour la diffusion
ou les conférences


La brevetabilité des logiciels est donc une réalité.

L'interprétation des textes qui prévaut aujourd'hui et permet la délivrance de brevet logiciels
s'est construite petit à petit, décision après décision. C'est cette évolution que nous allons
maintenant rappeler dans le cas de la France.

Reprenant mot pour mot les termes de l'article 52 de la Convention sur le brevet européen
(CBE), signée à Munich en 1973 et à laquelle adhèrent aujourd'hui vingt pays européen32, le
Code de la propriété intellectuelle exclut entre autres, par son article L611-10, les
programmes d'ordinateur en tant que tels du champ de la brevetabilité (voir Encadré 11).


32 Les 15 pays membres de l'Union Européenne, Chypre, le Liechtenstein, Monaco, la Suisse et la Turquie.
26





Encadré 11 - Article L611-10 CPI

1. Sont brevetables les inventions nouvelles impliquant une activité inventive et susceptibles
d'application industrielle.
2. Ne sont pas considérées comme des inventions au sens du premier alinéa du présent article
notamment :
a. Les découvertes ainsi que les théories scientifiques et les méthodes mathématiques ;
b. Les créations esthétiques ;
c. Les plans, principes et méthodes dans l'exercice d'activités intellectuelles, en matière de jeu ou
dans le domaine des activités économiques, ainsi que les programmes d'ordinateur ;
d. Les présentations d'informations.
3. Les dispositions du 2 du présent article n'excluent la brevetabilité des éléments énumérés aux dites
dispositions que dans la mesure où la demande de brevet ou le brevet ne concerne que l'un de ces
éléments considéré en tant que tel.


L'exclusion des programmes d'ordinateur de la brevetabilité fut d'abord entendue strictement
par les tribunaux, au point qu'une invention était déclarée non brevetable dès lors qu'un de
ses éléments était un programme d'ordinateur. Ainsi, toute demande de brevet comportant les
termes programme ou logiciel était rejetée, comme l'illustre l'arrêt de la Cour d'Appel de
Paris en 1973 dans l'affaire Mobil Oil33 : considérant [...] que le législateur a clairement
manifesté sa volonté en décidant que tous les programmes, sans distinguer s'ils permettaient
ou ne permettaient pas d'obtenir des résultats industriels, ne constituaient pas des inventions
industrielles [...]

Cette interprétation de l'alinéa 2 de l'article L611-10 CPI est tempérée par un autre arrêt de la
Cour d'Appel de Paris à l'occasion de l'affaire Schlumberger34 en 1981 sur la base de l'alinéa
3 du même article : la disposition légale qui proscrit la brevetabilité des programmes
d'ordinateur est une disposition exceptionnelle qui doit faire l'objet d'une interprétation
restrictive [...] ; un procédé ne peut être privé de la brevetabilité pour le seul motif qu'une ou
plusieurs de ses étapes sont réalisées par un ordinateur devant être commandé par un
programme.

Dans la première affaire la Cour, jugeant que le procédé ne recouvrait en réalité qu'un
programme d'ordinateur, a rejeté la demande, alors que dans la seconde elle a estimé que, si
l'invention mettait en jeu des logiciels, elle ne se bornait pas à ce seul objet et a jugé valide la
demande de brevet.

Cette lecture des textes a été confirmée en 1987 par une note de service35 du directeur de
l'INPI qui a rappelé que les programmes sont exclus de la brevetabilité dans la mesure où les
brevet ne concerne qu'un programme considéré en tant que tel. [...] Une demande de brevet
peut donc, dans certains cas , porter sur une invention incluant un programme d'ordinateur.
Cette analyse reste en vigueur aujourd'hui.

La jurisprudence européenne, plus riche, fait l'objet de l'Encadré 12.

33 Cour d'Appel de Paris, 22 mai 1973.
34 Cour d'Appel de Paris, 15 juin 1981.
35 D'après F. Pollaud-Dulian, 1997, La brevetabilité des inventions, Etude comparative de jurisprudence France
­ OEB.

27




Encadré 12 - Jurisprudence de l'OEB

Comme l'indiquait déjà Herr Gall directeur des affaires juridiques de l'OEB en 1985, les dispositions
de l'article 52 relatives aux programmes d'ordinateur n'ont qu'une nature déclaratoire, et n'apportent
pas d'éléments de droit nouveaux à la Convention de Munich.

Une invention, pour la Chambre de recours de l'OEB, est une nouvelle solution technique à un
problème technique. Il n'est donc pas nécessaire de faire référence, dans les revendications, à une
machine ou à un procédé contenant un programme d'ordinateur, puisqu'un programme seul, dès lors
qu'il constitue un procédé technique apportant une solution à un problème technique, est brevetable.

Ainsi, dans une décision Vicom (1986)36, la Chambre précise que le traitement de données
représentant des paramètres physiques est susceptible d'être breveté. Ainsi, une revendication portant
sur un traitement d'images est acceptable. De même, l'OEB, dans une décision IBM (1988)37, admet la
brevetabilité d'un procédé pour afficher un message indiquant un événement particulier susceptible de
se produire dans le dispositif d'entrée/sortie dans un système de traitement de textes, au motif qu'il
constitue une solution au problème technique qu'est la visualisation d'informations sur des
événements qui se produisent dans le dispositif d'entrée/sortie d'un système de traitement de textes.

Par ailleurs, ne sont pas exclues de la brevetabilité les inventions présentant un ensemble de
caractéristiques techniques combinées avec des caractéristiques non techniques38.

Contredisant ses propres règles39 et sa jurisprudence antérieure40 selon laquelle un programme
d'ordinateur en lui-même ou enregistré sur un support quelconque n'était pas brevetable, la Chambre
de recours de l'Office européen des brevets a récemment admis la brevetabilité de tels programmes,
pour peu qu'ils aient, lorsqu'ils sont installés sur un ordinateur, un effet technique allant au-delà de
l'interaction physique normale entre le programme et l'ordinateur41. La pratique actuelle de l'OEB ne
se limite donc plus à la brevetabilité de programmes d'ordinateur considérés comme procédés
techniques (des procédés-programmes), mais s'étend désormais à l'octroi de brevets sur des produits-
programmes.

La reconnaissance de la brevetabilité des produits-programmes permet de poursuivre en contrefaçon
leurs fabricants et leurs distributeurs, alors que la limitation du champ de la brevetabilité aux
procédés-programmes ne permet de poursuivre que l'utilisateur du procédé.

Enfin, l'expression application industrielle ne revêt plus son sens originel, dans la mesure où il n'est
plus nécessaire que l'invention concerne un procédé utilisé dans l'industrie manufacturière, c'est-à-
dire dans la production de biens matériels. Ce relâchement répond sans doute à une nouvelle situation,
où le secteur tertiaire représente plus de 70% du PIB.

Cependant cette jurisprudence reste nettement plus stricte que la doctrine de l'USPTO pour qui :
- le simple fait pour un programme de s'exécuter sur un ordinateur est un effet technique,
- une invention utile est brevetable indépendamment de toute condition d'application industrielle.


36 Vicom T 208/84, 15 juillet 1986.
37 IBM T 115/85, 5 septembre 1988.
38 Equipement radiologique T26/86, 21 mai 1987.
39 Guidelines for examination in the European Patent Office, Section C-IV, 2.3.
40 ATT T 204/93.
41 IBM T 935/97, 4 février 1999 et IBM T 1173/97, 1er juillet 1998.
28




6 - Le débat juridique

En marge des positions prises par les offices (INPI et OEB) et les tribunaux par rapport à
l'interprétation à donner aux dispositions de l'article 52 de la Convention de Munich42, le
débat fait rage.

Pour certains, les textes excluent toute possibilité d'octroi de brevets pour des inventions
logicielles. Il n'y a pas de programme d'ordinateur qui ne soit pas en tant que tel. De plus le
choix a été fait d'étendre explicitement le droit d'auteur aux programmes d'ordinateur plutôt
que la brevetabilité. La brevetabilité des programmes d'ordinateur est donc contraire à l'esprit
de la loi.

Pour d'autres, l'expression en tant que tel doit être comprise comme le contraire de appliqué
à : le logiciel comme algorithme n'est pas brevetable, mais il l'est comme solution technique
à un problème technique. Quant au droit d'auteur, il est destiné à protéger l'expression de
l'oeuvre, et non les concepts qui sous-tendent sa conception. Les deux instruments, loin d'être
contradictoires, sont donc complémentaires43.

Les protagonistes du débat s'opposent également quant aux conséquences juridiques de
l'article 27.1 de l'accord ADPIC44 conclu en avril 1994 à Marrakech dans le cadre de
l'Organisation mondiale du commerce. Les représentants des offices notamment soutiennent
que cet accord ne permet pas d'exclure un domaine technologique du champ de la
brevetabilité. Leurs contradicteurs contestent l'argument dans la mesure où l'accord ne
précise pas ce qu'est une invention et laisse aux signataires le soin de le définir45.

Toutes les parties regrettent la formulation de l'article 52 : les partisans de la brevetabilité en
raison de la confusion qu'elle a entraînée, en laissant se propager l'idée qu'aucun programme
d'ordinateur ne pouvait être breveté en Europe, les opposants à la brevetabilité en raison de la
distinction que semble faire le droit entre des logiciels qui seraient en tant que tels et d'autres
qui ne le seraient pas, distinction fallacieuse qui pourrait ouvrir la porte à des brevets sur
certains logiciels.

Une chose est sure : il n'y pas de vide juridique, mais au contraire un trop plein juridique. Au
delà des antagonismes sur l'interprétation des textes, un consensus se dégage sur la nécessité
de leur clarification. Celle-ci passe par une décision sur le fond quant à la brevetabilité des
logiciels.

Si le débat juridique fait naître la question, ce n'est pas au juge ou au juriste de la trancher, et
la réflexion doit maintenant se déplacer vers d'autres terrains, pour plus tard y revenir
lorsqu'il faudra par une formulation claire éviter de répéter les erreurs de la rédaction actuelle.


42 Equivalent à l'article L611-10 CPI.
43 La question de la complémentarité entre brevet et droit d'auteur sera abordée dans la suite de ce document.
44 Aspect des Droits de Propriété Intellectuelle touchant au Commerce.
45 Précisément, l'article 52 CBE indique seulement que les programmes d'ordinateur en tant que tel ne sont pas
des inventions.
29




EN BREF :
· Il existe plusieurs instruments de protection juridiques des logiciels, notamment :
o les dispositifs permettant la préservation du secret industriel,
o le droit d'auteur,
o les brevets.
· Ces instruments procèdent de logique différentes, mais rien n'indique à ce stade
qu'ils ne sont pas redondants en pratique. En particulier, il convient d'étudier la
complémentarité entre brevet et droit d'auteur.

· Alors que débat sur la conformité aux textes de brevets portants sur des logiciels se
poursuit, les offices ­ INPI, OEB et USPTO ­ délivrent des brevets logiciels.
· Les ambiguïtés des textes doivent être levées, ce qui suppose de décider une fois pour
toute d'inclure ou d'exclure les logiciels du champ de la brevetabilité.
30




3
Le brevet logiciel :
un enjeu politique économique et sociétal











L'ambiguïté de la formulation de l'article 52 de la Convention de Munich a engendré des
interprétations contraires quant à la brevetabilité des logiciels dans différents États membres
de l'Union européenne. La Commission européenne a tenté de procéder à une harmonisation
dans un sens favorable à la brevetabilité des logiciels, mais elle a rapidement été confrontée
aux protestations de la communauté du logiciel libre, et a dû suspendre son initiative (1).

Même si la plupart des entreprises ne sont pas sensibilisées au problème et ne participent donc
pas au débat, l'enjeu est de taille. Le développement de l'informatique est à l'origine de gains
de productivité importants et de croissance dans les pays industrialisés. L'importance de la
question du brevet logiciel apparaît nettement lorsqu'on s'intéresse aux cas de sociétés
comme Thomson Multimedia, Stac Electronics ou Unisys (2).

La question de la brevetabilité des logiciels n'est pas seulement une question économique,
mais également une question de société : certains évoquent le risque que la reconnaissance de
la brevetabilité des logiciels ne conduise tout droit à la privatisation des idées ou encore à la
brevetabilité de toutes les activités sociales (3).
31




1 - 1997 ­ 2000 : de l'initiative de la Commission au statu quo de Munich

L'article 52 alinéa 2 de la Convention sur le brevet européen (Convention dite CBE, signée à
Munich en 1973, et qui regroupe vingt pays européens), tout comme les législations sur les
brevets des États membres de l'Union européenne qui, pour la plupart, reprennent mot pour
mot les dispositions de cet article, exclut les programmes d'ordinateur du champ des
inventions brevetables.

Toutefois, l'alinéa 3 du même article précise que seuls sont exclus de la brevetabilité les
programmes d'ordinateur en tant que tels.

Cette formulation malheureuse a créé une incertitude juridique, dans la mesure où,
d'une part, plusieurs milliers de brevets déposés pour des inventions mettant en oeuvre
un programme d'ordinateur ont été accordés tant par l'Office européen des brevets que

par les offices nationaux, et, d'autre part, les dispositions encadrant la délivrance de
brevets de ce type ne sont pas interprétées de manière identique dans les pays de l'Union
européenne
.

Encadré 13 - Le brevet communautaire

Le système européen de brevets s'est construit par la voie de conventions internationales, la
Communauté européenne n'ayant pas de compétence en ce domaine. La voie conventionnelle est
périlleuse, comme l'attestent les échecs de la Convention sur le brevet communautaire (CBC, signée
en 1975 à Luxembourg, mais jamais ratifiée) et de l'Accord en matière de brevets communautaires
(ABC, signé en 1989, jamais ratifié), et inadaptée à la perspective de l'adhésion de nouveaux États à
l'Union européenne.

Par un arrêt du 13 juillet 199546, la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) a reconnu à
la Communauté la possibilité d'intervenir dans le domaine des brevets dès lors que les mesures prises
contribuent à la réalisation d'un des objectifs du Traité. Cette décision ouvre la voie à la création, par
un règlement pris à l'unanimité sur la base de l'article 308 (ex-235) du Traité CE, d'un titre
communautaire, valable sur l'ensemble du territoire de l'Union.

La Commission, dans un Livre vert publié en 1997, a identifié la nécessité d'un tel titre pour garantir
aux entreprises une meilleure sécurité juridique (une instance juridictionnelle unique aurait le
monopole de l'appréciation de la validité d'un brevet), améliorer le fonctionnement du marché
intérieur (le titre serait valable dans l'ensemble de l'Union), réduire les coûts de délivrance des brevets
(le titre ne serait traduit qu'en anglais, allemand et français, et non dans les onze langues
officiellement en vigueur dans l'Union), éviter les renégociations à chaque nouvelle adhésion (le titre
serait versé dans l'acquis communautaire auquel doit se soumettre tout nouvel entrant).

Lors des Conseils européens de Lisbonne (mars 2000) et de Stockholm (mai 2001), les chefs d'États et
de gouvernements ont émis le souhait qu'un brevet communautaire soit mis en place avant la fin de
l'année 2001. Malgré les nombreuses difficultés soulevées47, les ministres réunis à l'occasion du
Conseil marché intérieur du 31 mai 2001 sont parvenus à un compromis.

46 Affaire C-350/92, Royaume d'Espagne contre Conseil.
47 Au Portugal, seules quelques centaines de brevets sont déposés chaque année par des entreprises nationales, et
la quantité annuelle de brevets d'origine portugaise recensés à l'OEB est de l'ordre de la vingtaine. Dès lors,
l'office portugais chargé des brevets et les conseils en propriété industrielle tirent leurs revenus uniquement de la
traduction en langue portugaise de brevets émanant de firmes étrangères. On comprend aisément que le Portugal
s'oppose à la suppression des formalités de traduction, suppression qui serait pourtant l'une des avancées
essentielles du brevet communautaire.
32




Dès 1997, la Commission européenne, dans un Livre vert sur le brevet communautaire et le
système des brevets en Europe, soulignait l'importance de la question pour l'économie
européenne et le développement de la société de l'information, et s'interrogeait sur les
conséquences d'une éventuelle suppression du deuxième paragraphe de l'article 52 de la
Convention de Munich, suppression proposée par certains milieux intéressés, selon la
terminologie de la Commission.

A la suite du Livre vert, la Commission a procédé à des auditions, puis a décidé, dans une
communication de février 1999, d'engager une action législative sur la protection par brevet
des inventions mettant en oeuvre des programmes d'ordinateur. Cette initiative vise d'abord
à harmoniser les pratiques au sein de l'Union afin d'éviter les entraves aux échanges et
les distorsions de concurrence entre pays membres
, ce qui explique que ce soit la Direction
générale Marché intérieur (ex-DG V) qui ait été mandatée pour gérer le dossier, et non la
Direction générale chargée des entreprises et de la société de l'information. Parallèlement, et
dans ce même souci de clarification et d'harmonisation, les États membres oeuvrent à la mise
en place d'un titre communautaire valable sur l'ensemble du territoire de l'Union (voir
Encadré 13).

Au milieu de l'année 2000, le processus était voué à connaître une issue rapide : la
Commission européenne proposerait au Conseil des ministres de l'Union européenne et au
Parlement européen l'adoption d'une directive entérinant la pratique de l'Office européen des
brevets en matières d'inventions logicielles, tandis que les États signataires de la Convention
de Munich procéderaient à une révision de l'article 52.

La levée de boucliers des partisans du logiciel libre, opposés à toute idée de protection
des logiciels par des brevets a bouleversé les plans des experts de Bruxelles et de
Munich
. Face à cette soudaine opposition, et accusée d'avoir voulu boucler ce dossier délicat
en catimini, la Direction générale Marché intérieur a lancé le 19 octobre 2000 une
consultation publique via Internet. Cette consultation, pourtant close depuis le 15 décembre
2000, n'a toujours pas fait l'objet d'une synthèse officielle. Toutefois, l'analyse d'un
échantillon de réponses fait ressortir une forte opposition entre les positions des grandes
entreprises (General Electric, France Telecom, Bull, Alcatel, IBM ...), qui s'expriment en
faveur de la jurisprudence dégagée par l'OEB, et un grand nombre d'individus qui partagent à
titre personnel l'hostilité des défenseurs du logiciel libre envers l'extension de la brevetabilité
aux logiciels. Les PME sont plus partagées. Nous allons y revenir (voir Section 2). Par
ailleurs, des tiraillements entre les différents services de la Commission sont apparus, et il
paraît acquis qu'un éventuel projet de directive ­ la Commission pourrait, entre autres
options, renoncer à présenter un texte ­ ne pourrait pas être débattu avant 2002.

Parallèlement, la Conférence diplomatique de révision de la Convention CBE, qui s'est réunie
du 23 au 29 novembre 2000 à Munich, a renoncé à entériner la proposition de refonte de
l'article 52 et a décidé d'attendre les résultats de la consultation engagée par la Commission,
ce qui a été perçu dans l'opinion publique comme une défaite de l'OEB et une victoire des
partisans du logiciel libre.

Depuis le début de l'année 2001, la Commission européenne paraît avoir cédé l'initiative
aux États membres qui ont engagé leurs propres consultations
. A l'occasion du Conseil
marché intérieur du 12 mars 2001, la France et l'Italie ont tempéré les ardeurs de la
Commission en réclamant un délai de réflexion. Le retour des États membres dans la
discussion a permis de dépassionner le débat en dissipant le sentiment que les décisions
33




étaient entre les mains d'experts de la propriété intellectuelle, structurellement en faveur
d'une extension de la brevetabilité. Néanmoins, si les initiatives nationales ont le mérite
d'approfondir le sujet, elles ont peu de chances d'aboutir individuellement à des actions
concrètes dans la mesure où l'enjeu se situe essentiellement au niveau européen.

Ainsi, dès le 22 octobre 1999 se tenait à Bercy une table ronde sur la brevetabilité du logiciel,
dans le cadre de la consultation publique sur l'adaptation du cadre législatif de la société de
l'information48. Cette réunion révéla les antagonismes existants et ne permit pas de dégager
un consensus entre les participants.

Par ailleurs, le Conseil général des mines et le Conseil général des technologies de
l'information rendirent, le 20 septembre 2000, un avis commun sur la brevetabilité des
logicielles préconisant (i) le maintien de l'exception à la brevetabilité des programmes
d'ordinateur, et (ii) la création rapide d'un nouveau droit de propriété industrielle (droit sui
generis) pour les logiciels. Cette proposition fait l'objet de la Section 2 du Chapitre 5.

Enfin, Catherine Tasca, Ministre de la Culture et de la Communication, comme Christian
Pierret, Secrétaire d'État à l'Industrie, ont exprimé publiquement des réserves sur la
brevetabilité des logiciels, évoquant tour à tour le risque de tarissement de la création49, et le
risque de disparition des petits éditeurs de logiciels sous l'effet des attaques des grandes
entreprises50. Le dossier a également été repris par des parlementaires proches des milieux du
logiciel libre (Jean-Yves le Déaut, Gilles Savary...).

Le Secrétariat d'État à l'Industrie mène actuellement de nouvelles consultations pour estimer
l'impact économique d'une éventuelle brevetabilité des logiciels ; l'Académie des
technologies a été saisie du problème, de même que le Comité de coordination des sciences et
technologies de l'information et de la communication51. Bref, il est urgent d'attendre !

Le gouvernement britannique a également lancé une consultation publique, mais les
conclusions de cette consultation, disponibles sur le site Internet du Patent Office52, ne
permettent pas de trancher la question : le gouvernement reconnaît les inconvénients du
système des brevets (coûts, difficultés des PME à faire respecter leurs droits, risques
juridiques...) et appelle à une limitation de la brevetabilité aux seules innovations
technologiques, mais sans préciser la frontière entre ce qui constitue une innovation
technologique et ce qui n'en est pas une.

Outre un aspect politique, la question de la brevetabilité des logiciels comporte une dimension
stratégique de concurrence technologique entre l'Europe et les États-Unis.

Le système américain des brevets a connu au cours de ces vingt dernières années de profonds
bouleversements, dont le point d'orgue fut la décision State Street Bank53 (1998) qui abolit

48 Cette consultation était menée conjointement par le Secrétariat d'État à l'Industrie, le Ministère de la culture et
de la communication et le Ministère de la justice, autour du document Une société de l'information pour tous.
49 Conférence internationale sur la gestion et l'utilisation légitime de la propriété intellectuelle, 10 juillet 2000.
50 Catherine Tasca, 23 mars 2001, Hebdomadaire 01 Informatique : je suis contre les brevets logiciels en Europe.
Cela tuerait l'innovation et cela encouragerait le terrorisme juridique, car les multinationales de l'édition de
logiciels multiplieraient les procès contre les jeunes pousses.
51 Organisme créé en juillet 1999 et placé auprès du Ministre de la Recherche.
52 http://www.patent.gov.uk/
53 State Street Bank & Trust Co. v Signature Financial Group Inc., United States Court of Appeals for the
Federal Circuit.
34




une jurisprudence centenaire qui prohibait la délivrance de brevets sur les méthodes
intellectuelles dans le domaine des activités économiques (les business methods). Sans même
que la loi sur les brevets ait dû être modifiée54, la brevetabilité a ainsi été étendue à tous les
domaines : la législation s'applique aux logiciels et aux méthodes commerciales comme elle
s'applique aux médicaments.

L'extension du champ de la brevetabilité résulte d'une stratégie globale des États-Unis pour la
conservation de leur domination technologique sur le reste du monde. Aussi bien pour les
gènes que pour les logiciels et les méthodes commerciales, le gouvernement américain a
favorisé, par l'entremise de l'USPTO qui proclame son leadership mondial en matière de
propriété intellectuelle55, l'octroi de brevets aux nouveaux domaines jugés prometteurs et
stratégiques, puis a organisé un intense lobbying auprès des autres États pour que ceux-ci
adoptent la même démarche. Ainsi, les entreprises les plus actives dans le camp pro-brevets
logiciels sont des firmes américaines (Microsoft, General Electric, IBM) qui ont un intérêt
direct à pouvoir bénéficier de brevets sur leurs logiciels. Comme elles ont d'ores et déjà
effectué un nombre considérable de demandes aux États-Unis, elles auront, conformément
aux dispositions de la Convention de Paris, un droit de priorité en Europe.

Entre autres actions participant à cette démarche de lobbying, les États-Unis ont (i) obtenu du
Japon que celui-ci interdise la décompilation de logiciels fabriqués par des entreprises
américaines, (ii) obtenu de la Jordanie, à l'occasion d'une convention bilatérale signée le 24
octobre 2000, qu'elle renonce à exclure du champ de la brevetabilité les méthodes
commerciales et les inventions mises en oeuvre par ordinateur56, et (iii) oeuvré à l'ouverture de
négociations (La Haye, juin 2001) sur la reconnaissance mutuelle des jugements en matière
civile et commerciale. Ainsi, en cas de signature et de ratification de la Convention de La
Haye, une entreprise européenne pourra faire l'objet d'un procès aux États-Unis sous prétexte
que certaines fonctionnalités de son site Internet ­ consultable à partir des États-Unis ­ sont à
l'origine d'une contrefaçon d'un brevet américain, et le jugement sera applicable en Europe.

Pourtant, la reconnaissance de la brevetabilité des logiciels a été un des éléments qui
font qu'aujourd'hui, les États-Unis forment le marché de référence des nouvelles
technologies
. Il est plus aisé pour une société de la nouvelle économie de valoriser ses actifs
immatériels aux États-Unis qu'en Europe, et nombre de PME et de spécialistes en
informatique d'origine européenne traversent l'Atlantique pour lever des fonds. Maintenir en
Europe un système de protection de la propriété intellectuelle plus contraignant pour les
entreprises qu'il ne l'est aux États-Unis présente le risque de voir les entreprises étrangères se
détourner du marché européen et les entreprises européennes délocaliser leurs activités de
recherche et développement outre-Atlantique. Enfin, le Syndicat de l'Industrie des
Technologies de l'Information évoque le danger de voir les entreprises européennes,
dépourvues de portefeuilles de brevets défensifs pouvant servir de monnaie d'échange,
incapables de s'attaquer au vaste marché américain, alors même que les entreprises
américaines ne rencontreraient pas de difficultés pour conquérir le marché européen.


54 Les seules modifications de la loi américaine sur les brevets ont eu lieu en 1793, 1836 et 1952, ce qui tranche
avec la prolifération législative à laquelle a eu droit le système français de protection de la propriété industrielle
au cours des siècles.
55 USPTO, 2000, Rapport annuel, page 19.
56 Convention jordano-américaine, 24 octobre 2000, Jordan shall take all steps necessary to clarify that the
exclusion from patent protection of mathematical methods in Article 4(B) of Jordan's Patent Law does not
include such methods as business methods or computer-related inventions
.
35




2 - L'enjeu économique

Considérant que les programmes d'ordinateur jouent un rôle de plus en plus important dans
de nombreux secteurs industriels et que la technologie qui s'y rapporte peut dès lors être
considérée comme fondamentale pour le développement industriel de la Communauté57, [...]

Le logiciel dans l'économie

La fin des années 1990 a été marquée par une forte croissance économique dans les pays de
l'OCDE et l'émergence d'une nouvelle économie, notamment aux États-Unis. Ce regain de
dynamisme s'explique entre autres par l'innovation dans le secteur des nouvelles technologies
de l'information et de la communication (NTIC), et les gains de productivité associés à leur
diffusion dans les entreprises. Pour B. Crépon et T. Heckel, de l'INSEE, la contribution du
processus d'informatisation en France représente 0,7 point de croissance annuelle sur la
période 1987-199858. L'an 2000 a été l'occasion de célébrer la fin du célèbre paradoxe de
Solow, selon lequel les ordinateurs sont partout, sauf dans les statistiques du PIB.

Dépense informatique en France
450
(milliards de francs)
400
350
300
250
200
1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000

Source : Syntec-Informatique.
Dépense informatique en France,
année 2000
Autres
13%
Personnel
Services
27%
télécom
5%
Services
25%
Matériel
18%
Progiciels
12%

Source : Syntec-Informatique.


57 Directive du Conseil européen du 14 mai 1991 concernant la protection juridique des programmes
d'ordinateur (91/250/CEE).
58 B. Crépon et T. Heckel, 2001, La contribution de l'informatisation à la croissance française : une mesure à
partir des données d'entreprises
, Economie et Statistiques n°339-340.
36




La dépense informatique en France en 2000 s'élève à 472,5 milliards de francs (voir
Graphiques ci-dessus). Le chiffre d'affaire cumulé des entreprises françaises éditrices de
logiciels et des sociétés de service et d'ingénierie informatique (SSII) s'élève à 182 milliards
de francs59.

Dans le monde, la part du logiciel et des services progresse au détriment du matériel, qui
évolue vers une plus grande standardisation. Selon une étude de l'OCDE60, dans les
technologies de l'information (hors communications) :
i) le marché du logiciel s'est développé rapidement et, avec les services, il domine le marché
des technologies de l'information (environ 55 % du total) ;
ii) les systèmes mono-utilisateurs, principalement PC et stations de travail, ont fortement
progressé, mais le recul d'autres catégories de matériel font que la part du matériel sur le
marché a fléchi.

Des histoires de brevets logiciels

Si il ne fait aucun doute que les logiciels occupent aujourd'hui une place de choix dans
l'économie française et mondiale, il reste à montrer que les brevets peuvent avoir un impact
sur son organisation et son devenir. Quelques exemples suffiront à nous en persuader.

La ventilation du résultat d'exploitation de Thomson Multimédia pour l'année 2000 est la
suivante :

Résultat d'exploitation 2000
Displays & Components
262 millions EUR
Consumer Products
177 millions EUR
New media Services
-83 millions EUR
Patents & Licensing
319 millions EUR

Les brevets et leur commerce représentent donc à eux seuls près la moitié du résultat global.
Riche de son portefeuille de 26 000 brevets, Thomson Multimédia engrange chaque année des
millions d'euros de royalties. Selon Thierry Breton, son PDG, chaque magnétoscope fabriqué
dans le monde rapporte 3 USD à la société, chaque lecteur de DVD 2,5 USD, etc. Dans le
domaine du logiciel, les brevets sur le format MPEG3 popularisé par Napster61, sont à
l'origine de centaines de contrats de licence.

En 1993, Stac Electronics obtient la condamnation de Microsoft pour contrefaçon de ses
brevets sur la compression de données, avec à la clé plus de 110 millions de dollars de
dommages et intérêts. Microsoft est contraint de cesser temporairement la vente de son
système d'exploitation MS DOS (versions 6 et 6.2).

En 1987 Compuserve publie les spécifications d'un format de compression d'images : le
format GIF. Sept ans après, alors que ce format est devenu le format de référence pour la
compression d'images sans pertes, c'est-à-dire le format le plus utilisé avec le format JPEG,
une autre société, Unisys détentrice d'un brevet déjà ancien sur l'algorithme de compression
LZW dont dérive le format GIF, décide de demander des royalties aux utilisateurs de ce

59 Selon une étude réalisée par Pierre Audoin Conseil.
60 OCDE, 2000, Perspectives des technologies de l'information de l'OCDE 2000.
61 Format de compression audio qui permet des ratios de compression typiques de 1 pour 20, grâce auxquels il
devient possible de transférer des morceaux de musique par une connexion Internet de faible débit (modem).
37




format, prenant par surprise des centaines d'éditeurs de logiciels, obligés de négocier avec
Unisys pour pouvoir conserver la compatibilité de leurs logiciels avec le format GIF.

Bref, qu'il soit utilisé comme un moyen de défense ou comme une arme d'attaque, les brevets
en général et les brevets logiciels en particulier sont à l'origine de transferts financiers très
importants et participent à l'établissement de rapports de force entre les entreprise
productrices ou consommatrices de technologies.

Qu'en pensent les entreprises ?

Les positions exprimées ­ ou pas ­ par les entreprises ou les organisations professionnelles
chargées de les représenter sont contrastées. Au delà des statistiques, elles sont la
confirmation concrète de l'importance d'un enjeu qui n'est pas toujours perçu sur le terrain.
En voici un bref aperçu, qui ne prétend pas être exhaustif.

Pour Jean-Luc Farat, de la société Maximiles, start-up spécialisée dans la fidélisation sur
Internet, le brevet est une longue histoire personnelle. Son premier dépôt de brevet remonte au
temps où il était encore étudiant, et son objet, le rétroviseur, n'avait pas grand rapport avec les
logiciels. Au fil des années, pour ses employeurs successifs ou pour son propre compte, il a
obtenu une douzaine de brevets. Alors chez Apple, il a été amené à intervenir dans des procès
pour contrefaçon. Bref, pour celui qui porte aujourd'hui une casquette de directeur technique,
la protection juridique des innovations technologiques de Maximiles est un enjeu majeur. 5
MF d'investissement, ce n'est pas rien ! Il s'est donc naturellement tourné vers un cabinet de
conseil en propriété intellectuelle pour rédiger et déposer une demande de brevet. Brevet
logiciel ? Sans doute. Innovation technologique ? Certainement. Alors pourquoi ne pourrait-
on pas breveter ? En plus je fais d'une pierre deux coups, un brevet me donnant une plus
grande visibilité et une plus grande crédibilité auprès des investisseurs.

Frédérik Bastok, directeur technique et cofondateur de MandrakeSoft, ne veut pas des brevets
logiciels. MandrakeSoft édite le système d'exploitation Linux-Mandrake sur le mode du
développement ouvert (accès libre au code source publié selon les termes de la GPL ­ General
Public License). Le modèle économique du logiciel libre, qui allie développement ouvert du
logiciel et offre de services payants autour de ce logiciel, est non seulement un modèle viable,
mais surtout le plus favorable à l'innovation, aucune contrainte ne venant entraver la
créativité des informaticiens. Sans brevet, ce sont les entreprises les plus innovantes qui ont
du succès, avec, ce sont celles qui ont les meilleurs juristes ! En plus, aujourd'hui les offices
délivrent leurs brevets en dépit du bon sens !

Mais aujourd'hui les dirigeants de PME qui sont sensibles au débat restent peu nombreux.
Anne de la Tour, du SYNTEC Informatique62, explique : il y a encore seulement deux ans,
95 % des entreprises étaient persuadées que le logiciel relève du droit d'auteur, uniquement
du droit d'auteur, et est donc non brevetable.

Alain Bouviala, directeur général d'Adonix confirme : dans mon secteur d'activité, les
progiciels de gestion, le brevet logiciel est un non-sujet. Les éditeurs s'observent les uns les
autres et s'inspirent de ce que font leurs concurrents. C'est naturel. C'est conforme à l'intérêt
des utilisateurs. Ils n'ont pas vraiment la prétention d'être des inventeurs et donc la question
de la protection de l'innovation ne se pose pas. Ils ne pensent pas que les brevets puissent

62 Chambre Syndicale des SSII et des Éditeurs de Logiciels, qui représente près des deux tiers du secteur.
38




constituer un problème. De toute façon, avec les 35 heures, les PME ont autre chose à faire
que de s'interroger sur la brevetabilité des logiciels !

Depuis deux ans cependant, c'est-à-dire depuis que les partisans du logiciel libre ont
commencé à prendre à partie les autorités nationales et européennes sur la question de la
brevetabilité des logiciels, la prise de conscience a commencé. Les SSII qui développent des
logiciels pour des entreprises dans le cadre de contrats de développement spécifiques,
craignent de voir leur activité remise en cause par les brevets et sont en général hostiles aux
brevets logiciels. Effectivement, pour certaines PME, la prise de conscience se fait
brutalement au travers de contentieux, ou de menaces de contentieux.

Comme le fait remarquer l'INPI, il est amusant de constater que le lobbying anti-brevet
logiciel des partisans du logiciel libre a réussi là où toutes les campagnes de sensibilisation
avaient échoué : le nombre de demandes de brevets d'origine française dans le domaine du
logiciel est en forte croissance. Les éditeurs de logiciels, bien que partagés sur le fond,
préfèrent jouer la sécurité et commencent donc à déposer des demandes de brevets au cas où.

A l'autre extrémité de l'échelle les multinationales ont un point de vue différent. Thierry
Breton, on s'en doute, est favorable aux brevets logiciels. De toute façon, la France ne
représente que 4 % du chiffre d'affaire. L'enjeu n'est pas là. L'Europe... idem. Si les États-
Unis et la Chine s'opposaient au brevet logiciel, là oui, on aurait un problème.

Gérard Lefranc, en charge de la protection des logiciels chez Thales63 explique : au début des
années 90 les logiciels représentait 20 % des systèmes que nous développions, aujourd'hui
c'est 50 %. Dans un système de contrôle aérien par exemple, le logiciel c'est même 80 %.
Thales investit 40 % de son effort de R&D ­ 1,8 milliards d'euros ­ dans les logiciels. La
brevetabilité des logiciels, c'est la suite logique ! C'est une nécessité industrielle.

Le MEDEF souligne : la valeur du logiciel réside de moins en moins dans le code lui-même.
Le développement représente 20% du coût total, contre 40% pour les spécifications des
fonctionnalités et la conception (en amont du développement) et 40% pour le test,
l'intégration et la réalisation de la documentation (en aval du développement). Le brevet, à
l'inverse du droit d'auteur, est l'instrument de protection adapté.

Si la plupart des grandes entreprises comme IBM, Microsoft ou Intel défendent avec force les
brevets logiciels, et souhaitent une convergence du système européen vers la pratique
américaine, certaines voix s'élèvent néanmoins pour marquer leur hésitation voire leur
désaccord, comme celles de Adobe Systems ou Borland International.


3 - L'enjeu sociétal et le logiciel libre

Les adeptes du logiciel libre ont, les premiers, élevé la voix pour s'opposer à la pratique de
l'OEB en matière de délivrance de brevets logiciels. Inquiets de voir le débat accaparé par les
experts, ils ont lancé une vaste pétition sous l'égide d'Eurolinux, qui a recueilli aujourd'hui
plus de 80 000 signatures64. Le débat sur la brevetabilité des logiciels s'est alors transformé en
un affrontement de clans : le clan du logiciel libre et le clan du brevet logiciel, laissant
entendre que brevet logiciel et logiciel libre sont incompatibles.

63 Thales Propriété Intellectuelle, groupe Thales.
64 http://petition.eurolinux.org/
39




Pour les uns, les brevets logiciels menacent la recherche et l'innovation. Pour les autres, la
croisade anti-logiciel commerciaux des premiers met en péril l'industrie du logiciel. Pour
nous, il s'agit de deux objets différents, très probablement compatibles. Résultat, le débat sur
le logiciel libre contamine la réflexion sur la brevetabilité des logiciels plus qu'il ne l'éclaire.

La cohabitation entre brevet logiciel et logiciel libre ne semble pas être dommageable pour les
logiciels libres aux États-Unis, alors que des brevets sur des programmes d'ordinateur sont
accordés par l'USPTO depuis plus de dix ans. Les laboratoires de recherche des grandes
entreprises comme IBM, Sun ou AT&T, qui déposent quantités de brevets chaque année, ont
largement participé au développement du logiciel libre et des licences Open Source65.

Le brevet ne s'oppose pas à l'activité de recherche. L'article L613-5 du Code de la propriété
intellectuelle indique que les droits conférés par le brevet ne s'étendent pas : (a) aux actes
accomplis dans un cadre privé et à des fins non commerciales ; (b) aux actes accomplis à titre
expérimental qui portent sur l'objet de l'invention brevetée ; (c) à la préparation de
médicaments faite extemporanément et par unité dans les officines de pharmacie, sur
ordonnance médicale, ni aux actes concernant les médicaments ainsi préparés.

L'article de J. Bessen et E. Maskin souvent cité par les tenants du logiciel libre, ne prouve pas
que le brevet logiciel nuit à l'innovation. Il ne s'agit que d'un modèle (voir Encadré 14).
Aucune étude ne permet de trancher véritablement cette question.

Quant à l'affrontement sur la pertinence du logiciel libre en tant que modèle économique, il
n'a pas grand rapport avec le débat sur la brevetabilité des logiciels. Il est un terrain
d'affrontement que chacun espère exploiter à son compte pour discréditer l'adversaire.

Au delà de ce vrai faux débat, une question de fond demeure : quelle place accorder à la
liberté d'invention et d'exploitation des inventions par la société d'une part, et d'autre part au
droit de propriété du créateur sur sa création ?

Pour Bernard Lang, chercheur à l'INRIA et secrétaire de l'Aful66 : on risque la brevetabilité
de toutes les activités sociales. Il illustre son propos par la question suivante : la moitié des
français ont un téléphone portable ; cet objet conditionne le mode de vie de nos concitoyens ;
les téléphones portables font l'objet de nombreux brevets ; est-il raisonnable de voir notre
mode de vie contraint par des brevets ?

Cette question n'est pas de nature économique ou juridique, mais relève d'un choix
d'organisation de la société. Récemment le problème posé par la contrefaçon de médicaments
contre le SIDA a suscité un débat de même nature. Parce que nous pensons que la non
brevetabilité des médicaments ou des téléphones portables en Europe ou aux États-Unis n'est
pas à l'ordre du jour, nous avons choisi de nous concentrer sur les problématiques
économiques et juridiques évoquées plus haut, qui constituent pour nous le véritable enjeu du
débat actuel.


65 En proposant des alternatives à la licence GPL, plus compatibles avec une démarche industrielle.
66 Association Francophone des Utilisateurs de Linux et des logiciels libres.
40




Encadré 14 - Sequential innovation, patents, and imitation

Cadre d'analyse
Le secteur d'activité considéré dans le modèle de J. Bessen et E. Maskin comprend deux firmes, et se
caractérise par une innovation complémentaire (la probabilité d'innovation croît avec le nombre de
firmes engageant des dépenses de R&D) et séquentielle (dans le modèle dynamique ci-dessous, une
firme ne peut innover à la période t+1 que si elle a été présente sur le marché à la période t).

On suppose que l'exploitation d'une invention rapporte à chaque période (i) si une seule firme est
présente sur le marché, et (ii) s (avec s<1/2) si les deux firmes sont présentes, et que le coût de R&D
est égal à c. La figure ci-dessous représente le nombre de firmes engageant des dépenses de R&D en
fonction du niveau des incitations /c.

Modèle statique

La protection par brevet permet un niveau
d'innovation plus élevé qu'un régime sans
modèle
modèle
0 firme
brevet. Toutefois, le niveau d'incitation peut être
statique
dynamique
1 firme
excessif (flèche 1 ci-contre).
/c
2 firmes

2
Modèle dynamique
O : optimum
Le régime avec brevet, comme le régime sans
1
S : sans brevet
brevet, conduit à un niveau d'innovation sous-
A : avec brevet
optimal. Toutefois, dans une situation où
l'optimum est atteint lorsque les deux firmes
innovent (i.e. quand /c est suffisamment
grand), la protection par brevet est plus O S A O S A
dommageable que l'absence de brevet (flèche 2).


Critique du modèle
Le modèle de J. Bessen et E. Maskin a le mérite de rendre compte des principales alternatives
auxquelles sont confrontées les entreprises (R&D, imitation, achat et vente de licences) et de souligner
que le brevet peut comporter des effets néfastes, même si l'on ignore les distorsions monopolistiques.
Toutefois, ce modèle (i) ne considère qu'un duopole, et (ii) ignore l'effet de la durée de validité du
brevet.

41




EN BREF :
· La formulation malheureuse de l'article 52 de la Convention de Munich est à
l'origine d'une controverse juridique et d'interprétations contradictoires quant à la
brevetabilité des logiciels. La Commission européenne a souhaité y mettre bon ordre,
en adoptant une position proche de l'Office européen des brevets, favorable aux
brevets logiciels. Elle s'est heurtée dans sa démarche à une forte opposition des

défenseurs du logiciel libre, ce dont ont profité les États membres pour reprendre
l'initiative.

· La question de la brevetabilité des logiciels comporte une dimension stratégique dans
le cadre de la concurrence que se livrent l'Europe et les États-Unis. Les entreprises
américaines sont souvent à l'avant-garde du camp pro-brevet, ce qui peut laisser
penser que l'Europe a plus à perdre qu'à gagner en suivant la voie tracée outre-
Atlantique, où le champ de la brevetabilité a été étendu. Pourtant, le maintien d'une

exception européenne pourrait conforter le marché américain comme marché de
référence.

· L'importance de l'informatique dans l'économie n'est plus à démontrer. Dès lors, la
question de la brevetabilité des logiciels est un enjeu majeur. Néanmoins, les
entreprises paraissent peu sensibilisées au problème et participent peu au débat.

· Les partisans du logiciel libre sont les premiers à avoir dénoncé l'initiative de la
Commission européenne. Ils avancent le risque de disparition des développeurs
indépendants et donc du logiciel libre, voire la menace de privatisation des idées.
42




4
Pour ou contre les brevets logiciels ?












Depuis une vingtaine d'année, le logiciel est assimilé à une oeuvre littéraire et bénéficie à ce
titre de la protection par le droit d'auteur. Pourtant, brevet et droit d'auteur ne sont pas
redondants : le premier protège les idées à la base de l'oeuvre, tandis que le second ne protège
que son expression. Vouloir exclure la brevetabilité des logiciels au seul motif que ceux-ci
sont déjà protégés par le droit d'auteur ne paraît pas raisonnable (1).

C. Shapiro et H. Varian, dans leur best-seller Information Rules, soulignent que la force d'une
entreprise dans le domaine des nouvelles technologies de l'information et de la
communication provient non pas de son portefeuille de brevets, mais de sa capacité à entrer la
première sur de nouveaux marchés et à offrir des produits et services complémentaires. Le
brevet ne serait donc pas indispensable à l'innovation dans le secteur des logiciels (2).

Le brevet est certes un moyen d'inciter les entreprises à innover, mais il est également à
l'origine de distorsions : il accorde des monopoles aux inventeurs, faussant ainsi la
concurrence ; il engendre un phénomène de course au brevet, qui s'accompagne d'un
surinvestissement en R&D ; il peut permettre au premier inventeur dans un domaine
technologique donné d'acquérir un droit de regard sur l'innovation dans ce secteur (3).

Ces distorsions peuvent et doivent être corrigées. Les effets néfastes des monopoles peuvent
être réduits par l'instauration d'un marché de licences plus transparent. Mais pour éviter
d'accorder aux entreprises des privilèges excessifs, il est d'abord nécessaire d'appliquer
strictement la législation, c'est-à-dire de n'accorder des brevets que pour des inventions
nouvelles et susceptibles d'application industrielle (4).

Il revient aux examinateurs des offices et, à défaut, aux juges, de faire appliquer la loi. Les
offices éprouvent des difficultés pour apprécier la nouveauté et l'inventivité des logiciels, car
l'état de l'art en informatique est mal documenté et le rythme d'innovation trop rapide. De
plus, il n'est pas certain que les offices aient intérêt à appliquer strictement les critères
énoncés par la loi. Quant au contentieux, il peine à jouer son rôle de force de rappel,
notamment en raison des coûts qu'il génère, de la lourdeur et des délais de procédure (5).
43




1 - Brevet et droit d'auteur : deux instruments complémentaires

Le logiciel a été reconnu comme oeuvre littéraire aux États-Unis dès 1980 par le Copyright
Act. Cette reconnaissance a eu lieu en France par la loi du 3 juillet 1985, puis au niveau
Communautaire par la directive 91/250/CEE du 14 mai 1991.

Un certain nombre de participants au débat sur la brevetabilité des logiciels indiquent que le
fait que les logiciels sont protégés par un autre instrument (le droit d'auteur) corrobore l'idée
selon laquelle les États signataires de la Convention sur le brevet européen ont voulu
expressément interdire les programmes d'ordinateur du champ de la brevetabilité.

Cette interprétation émane par exemple du Ministère de la culture, administration qui se
positionne traditionnellement en faveur du droit d'auteur67 et qui a notamment été à l'origine
de la loi de 1985, mais également du Syntec Informatique qui à l'époque avait été associé à la
rédaction du projet de loi.

Pourtant, le brevet et le droit d'auteur n'offrent pas la même protection : alors que le
brevet protège, au delà d'une forme particulière, les fonctionnalités de l'oeuvre, le droit
d'auteur ne s'attache qu'à protéger son expression68.


J. Delacour, PDG d'Optis, société toulonnaise spécialisée dans les simulateurs d'éclairage,
estime la protection par le droit d'auteur insuffisante : elle ne s'attache qu'aux lignes de code.
Alors c'est évident que si quelqu'un insère vos lignes de code dans son programme, le droit
d'auteur est protecteur. Mais il est très facile de reprogrammer la même chose avec des lignes
différentes. Or un logiciel, c'est aussi une architecture, un agencement de fonctions. C'est
facile à imiter.

Les deux instruments présentent également des différences notables en termes de formalités et
de définition des droits : alors que la protection par le droit d'auteur est automatique du seul
fait de la création de l'oeuvre69, le brevet doit faire l'objet d'une demande ; tandis que
l'étendue de la protection octroyée par le brevet est définie par les revendications du
demandeur, lesquelles pourront éventuellement être contestées devant la justice, les droits
conférés par le droit d'auteur sont précisés par la loi.

D'un point de vue économique, brevet et droit d'auteur remplissent des fonctions
complémentaires. Ainsi, le droit d'auteur interdit d'une part la diffusion et l'utilisation du
logiciel sans le consentement de l'entreprise et restreint d'autre part les possibilités pour les
concurrents d'accéder à travers le produit fini à l'innovation (protection verticale), en
interdisant notamment la décompilation. Le brevet, quant à lui, permet l'appropriation des
externalités positives, dans la mesure où le détenteur du titre dispose d'un droit de regard sur
les innovations complémentaires (protection horizontale).



67 Catherine Tasca, Ministre de la culture et de la communication, déclarait le 10 juillet 2000 à l'occasion de la
Conférence internationale sur la gestion et l'utilisation légitime de la propriété intellectuelle : l'attachement au
modèle des droits d'auteurs n'[est] pas vain et la société de l'information prouve très exactement qu'ils y sont
adaptés.
68 C'est-à-dire, dans le cas du logiciel, le code du programme, sous quelque forme que ce soit (code source, code
binaire, etc.).
69 L'art. L111-1 CPI stipule que l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création,
d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous
.
44




Encadré 15 - Protection horizontale / Protection verticale

Le brevet assure une protection horizontale : Innovation 2
Innovation 1
Innovation 3
l'inventeur 1 a un droit de regard sur les
innovations 2 et 3 qui s'appuient sur l'innovation
1 (Flèches 1 et 1'). Si l'inventeur 3 commercialise
un produit 3 à partir de l'innovation 3, il peut être
1
1'
attaqué en justice par l'inventeur 1 (Flèche 3).

Le droit d'auteur accorde une protection
verticale : nul n'est autorisé à réaliser une copie
du produit 1 sans l'accord de l'inventeur (Flèche
2
2'
3
4). D'autre part, l'analyse du produit 1 pour
1
comprendre l'invention est interdite (Flèche 2').
Enfin, l'utilisation du produit 1 est sujette à
Produit 1
l'autorisation de l'inventeur 1 (Flèche 2).
4
Produit 3
Copie 1



Loin d'offrir des protections redondantes, le brevet et le droit d'auteur agissent donc de façon
complémentaire, ce qui explique qu'il n'est pas envisagé dans le cadre du débat sur la
brevetabilité des logiciels de supprimer le droit d'auteur et de le remplacer par un système de
brevets. D'autre part, combiner plusieurs instruments de protection n'est pas un principe
inédit : des machines sont d'ores et déjà protégées par le brevet pour ce qui est du procédé et
par le droit des dessins et modèles pour ce qui est du design, voire par une marque. Pour
autant, les logiciels, et plus généralement les nouvelles technologies de l'information et de la
communication, ont-ils besoin de brevets ?


2 - Information rules : le secteur des nouvelles technologies a-t-il besoin de brevets ?

L'argument date du XIXème siècle : s'il est moral et juste que l'inventeur soit récompensé,
il n'est peut-être pas juste qu'il le soit deux fois
. Or l'inventeur est déjà rémunéré : si
l'innovation est vraiment en avance sur son temps, le délai qui s'écoule entre la mise en
application de l'invention et l'apparition des premières imitations permet à l'inventeur
d'obtenir des profits suffisants pour le récompenser de ses efforts. Lui accorder un monopole
d'exploitation revient alors à lui assurer un surprofit.

Dans leur ouvrage Économie de l'information : guide stratégique de l'économie des réseaux,
C. Shapiro et H. Varian observent que dans le domaine des nouvelles technologies de
l'information et de la communication, (i) les effets de réseau tendent à offrir automatiquement
un monopole temporaire aux inventeurs qui ont été les premiers à mettre en oeuvre leurs idées,
(ii) l'avantage d'une entreprise se construit par sa capacité à offrir un service meilleur que
celui des concurrents, et notamment à savoir différencier ses produits, connaître ses clients et
leurs dispositions à payer, et (iii) la conquête du marché ne passe pas par la défense acharnée
des droits de propriété intellectuelle, mais au contraire par la recherche d'alliances permettant
de développer des standards. Ce constat faisait dire70 en 1999 à H. Varian, qu'il espérait que
l'Europe ne suivrait pas la voie choisie par les États-Unis en matière de brevets logiciels.

70 Club de l'Arche, Paris, 14 septembre 1999.
45




Les biens d'information suivent la règle du first mover takes all : le premier qui
conquiert le marché dispose souvent d'un avantage décisif
. Les propriétaires
d'information que sont les producteurs d'Hollywood étaient terrifiés par la mise sur le marché
des magnétoscopes, qui allait les ruiner. Pourtant, la bonne stratégie fut celle de Disney :
s'implanter aussi rapidement que possible sur le marché de la vente et de la location de
cassettes vidéo. Aujourd'hui, les studios américains réalisent une grande partie de leur chiffre
d'affaire sur ce secteur. De la même façon, nombre d'éditeurs de logiciels ont compris que
leur force ne passe pas par la détention de titres de propriété intellectuelle, mais par leur
réactivité à l'ouverture de nouveaux marchés.

L'entrée massive sur un marché, moyennant une politique de prix agressive, permet de
bénéficier à plein des effets de réseau qui caractérisent le secteur des logiciels. Plus un
logiciel est utilisé, plus il a de valeur aux yeux des consommateurs, en raison de leur appétit
pour la standardisation.

Par exemple, il est d'autant plus Encadré 16 - Feed-back positif / feed-back négatif

intéressant pour une entreprise d'acheter
la suite Office commercialisée par
Microsoft que ses interlocuteurs ­ clients
Part de marché (%)
et fournisseurs ­ en sont dotés, car
100%
l'échange des données est alors facilité.
Dès lors, s'engage un cercle vertueux
(feed-back positif) ou vicieux (feed-back
50%
négatif) : la technologie adoptée par le
plus grand nombre tend à se propager,
tandis que la technologie alternative tend
t
à disparaître.


Ainsi, dans les années 1990, le couple Microsoft-Intel l'a emporté contre Apple, et le système
d'exploitation Macintosh a quasiment disparu. Dans les années 1980, le marché des
magnétoscopes avait vu le standard VHS l'emporter sur le système Betamax.

Les grand bénéficiaires de ce mécanisme de feed-back sont donc les entreprises qui ont
su lancer massivement les technologies gagnantes sur le marché
.

L'adoption par une entreprise d'une solution logicielle engendre pour elle des coûts de
remplacement qui la rendent captive de son fournisseur. Il est dès lors de l'intérêt de l'éditeur
de logiciel d'entrer relativement tôt sur le marché, faute de quoi les barrières constituées par
ses concurrents seront dissuasives. Ces coûts de remplacement sont de plusieurs ordres. D'une
part, la recherche d'un nouveau fournisseur par l'entreprise peut être difficile : Bell Atlantic,
compagnie téléphonique américaine, a investi, dans la seconde moitié des années 1980,
environ trois milliards de dollars pour équiper son réseau téléphonique grâce au système de
commutation numérique 5ESS développé par AT&T, et aujourd'hui, dans la mesure où
aucune autre société n'est capable d'assurer le même service que AT&T et où il serait
tellement coûteux de changer son système de commutation, Bell Atlantic est prisonnière de
l'ex-monopole pour ce qui concerne le développement d'interfaces et les mises à jour.

D'autre part, l'utilisation d'un logiciel requiert une certaine formation : changer de logiciel
suppose donc de former à nouveau le personnel, alors même que celui-ci est devenu plus
productif grâce à sa familiarisation avec le logiciel adopté.
46




Enfin, les entreprises qui sont grandes
Encadré 17 - Le cas Computer Associates
consommatrices de bases de données sont
contraintes à demeurer liées au même L'entreprise Computer Associates, qui figure au
fournisseur : il est contraignant de troisième rang des fabricants indépendants de
changer ses logiciels de comptabilité ou logiciels, derrière Microsoft et Oracle, occupe une
de gestion des stocks, car ceux-ci utilisent niche : celle de l'édition de logiciels compatibles
avec les gros ordinateurs IBM sur lesquels sont
des données des années antérieures dont installés de grandes bases de données.
le format est difficilement modifiable. De
plus, le coût de changement de Ces bases de données ne pouvant être interrompues,
fournisseur augmente à mesure que le les entreprises qui les gèrent ne peuvent se permettre
temps passe, c'est-à-dire à mesure que de de changer de fournisseur, ce qui permet à Computer
nouveaux développements sont réalisés et Associates de verrouiller le marché.
que les bases de données s'épaississent.

Ainsi, disposer d'un logiciel pionnier permet d'atteindre puis de verrouiller une
clientèle, qui ne pourra changer de fournisseur sans consentir des coûts de changement

croissants avec le temps .

Outre les effets de réseau, l'industrie du logiciel se caractérise par des rendements croissants :
une fois les coûts fixes de développement consentis, les coûts variables associés à la
reproduction du logiciel et à sa diffusion sont quasiment nuls. A la différence des industries
traditionnelles, qui peuvent réduire le coût moyen de production en améliorant la gestion de la
chaîne de production, d'assemblage et de distribution, l'élément clé pour réduire le coût
moyen consiste à augmenter le volume des ventes. Il est alors essentiel d'occuper une part
importante du marché, d'une part pour s'assurer de l'amortissement des coûts de
développement du produit, et d'autre part pour s'approprier la majeure partie des
économies d'échelle. Ainsi, l'entreprise la plus rapide à pénétrer le marché ne pourra être
concurrencée sur les coûts.

La position de leader reflète également la capacité de l'entreprise à offrir des produits
différenciés, personnalisés, et à accompagner ses produits de nombreux services
.


Encadré 18 - La différenciation des produits

Supposons que les logiciels de comptabilité
intéressent deux groupes de consommateur : (i)
Figure 1
Figure 2
Figure 3
ceux qui en font un usage occasionnel (ils sont au
nombre de 150,000) et (ii) ceux qui en font un
p
p
p
usage intensif, et qui sont au nombre de 100,000.
Les consommateurs du premier groupe ont besoin
uniquement des fonctions de base, et sont prêts à
payer 20 EUR, tandis que les seconds souhaitent
bénéficier de fonctions plus élaborées, et sont
Q
Q
Q
prêts à payer 50 EUR.


L'éditeur du logiciel peut alors proposer un produit haut de gamme à un prix de 50 EUR, auquel cas
les utilisateurs occasionnels sont exclus du marché (Figure 1 : le chiffre d'affaire est de 5 millions
d'euros) ou un produit bas de gamme à un prix de 20 EUR (Figure 2 : le chiffre d'affaire est aussi de 5
millions d'euros). Mais l'éditeur du logiciel dispose d'une autre possibilité : mettre sur le marché une
version Standard au prix de 20 EUR et une version Pro au prix de 50 EUR, auquel cas le chiffre
d'affaire sera de 8 millions d'euros (Figure 3).
47




Un bien d'information comme un logiciel, est facilement commercialisable en plusieurs
versions : une fois la version haut de gamme développée, il suffit d'en retirer certaines
fonctionnalités et en dégrader certaines autres pour obtenir la version bas de gamme. Il est
alors possible d'atteindre, avec le même produit, des groupes de consommateurs qui ont des
attentes différentes.

Un éditeur de logiciel occupera donc une place d'autant plus importante qu'il se révèle
capable de segmenter le marché, de comprendre les attentes des différents groupes de
consommateurs et d'offrir des produits répondant à ces attentes, à des prix reflétant les
dispositions à payer des différents groupes.

La qualité du produit est indissociable de la qualité du service qui l'accompagne. Les services
les plus couramment utilisés dans l'industrie du logiciel sont le support technique, la mise à
jour, le développement d'applications personnalisées ou les programmes de fidélisation.

Ainsi, McAfee, entreprise crée en
Encadré 19 - Le programme de fidélisation
1992, a conquis plus de la moitié du
d'Amazon.com
marché mondial des logiciels
antivirus, principalement en offrant Amazon.com, numéro 1 mondial des ventes de livres par
ses produits en téléchargement gratuit Internet et détenteur du fameux brevet one-click, a mis
sur Internet, et en faisant payer les en place le programme Associates, qui permet à tout
individu disposant d'une page Web d'insérer un lien
mises à jour et le support technique : vers le site www.amazon.com et d'empocher une
McAfee a adopté un modèle commission de 5 USD par achat effectué à partir de son
économique qui en fait un prestataire site. Le programme de fidélisation d'Amazon.com
de services, et non un éditeur.
compte des dizaines de milliers de membres.

Les entreprises attendent également que les éditeurs de logiciels leur offrent des packages
(ensemble de produits complémentaires) et des solutions clé en main. Ainsi, une société
comme Adonix, qui édite des progiciels de gestion pour les PME, ne possède pas de brevet
sur son produit phare, car elle sait que sa position sur le marché est d'abord le résultat de la
qualité de son service et de sa capacité à offrir des solutions intégrées et personnalisées.

Enfin, la recherche de partenariats paraît plus importante que la défense acharnée des
droits de propriété intellectuelle. Silicon Graphics a convaincu Industrial Light & Magic
d'utiliser ses ordinateurs graphiques pour créer les dinosaures du film Jurassic Park, ce qui
lui a immédiatement assuré une notoriété mondiale. De plus, l'émergence de nouveaux
marchés et leur développement passent souvent par l'adoption de standards qui rendent les
différentes technologies compatibles entre elles. S'il n'existe pas d'entreprise dominante
capable d'instaurer un standard de fait (comme Microsoft a su imposer DOS puis Windows),
les acteurs du marché ont intérêt à s'entendre et non à se replier sur leurs droits de propriété.

Un certain nombre d'arguments laissent penser que l'innovation dans le secteur du logiciel ne
dépend pas de manière cruciale de l'existence d'un système de brevets. Les brevets seraient
donc superflus en matière de logiciels. Mais seraient-ils de surcroît nuisibles ?

48




3 - Le brevet : des distorsions...

Si le brevet incite à l'innovation dans la mesure où il garantit à l'inventeur un retour sur
investissement, il induit des effets socialement nuisibles : rentes monopolistiques,
surinvestissement en R&D et préemption de l'innovation dans des domaines technologiques.

En favorisant l'émergence de monopoles, même temporaires, le brevet est à l'origine de
distorsions (sous-production, sur-tarification) abondamment analysées dans la littérature et
combattues dans la pratique par les dispositions des législations anti-trust ou des régimes de
licence obligatoire. Le monopole ne doit pas être entendu comme un droit accordé par la
société en contrepartie de la réalisation de l'innovation, et contre lequel il serait vain de lutter,
sauf à remettre en cause le système de protection de la propriété intellectuelle tel qu'il existe
aujourd'hui. En effet, le brevet octroie non pas un droit au monopole, mais un droit de regard
sur l'invention, ou plus précisément un droit de priorité. Ce droit peut généralement être
remis en question lorsqu'il n'est pas exploité71, ou lorsqu'il est exploité de manière
insuffisante72. D'une manière générale, le monopole n'est pas une conséquence inévitable du
brevet, dans la mesure où le détenteur du titre de propriété industrielle est toujours libre ­ et
cela peut constituer un choix rationnel, comme le montre l'Encadré 20 ­ d'accorder,
moyennant rétribution, des licences d'exploitation aux autres acteurs du marché73.


Encadré 20 - Les licences d'exploitation

Supposons que l'invention consiste en un nouveau
P
procédé de fabrication qui permet d'abaisser le
coût marginal de production d'un bien de C0 à C1.

C0
Figure 1
L'inventeur peut alors choisir de produire le bien C1
en question. Disposant seul de la nouvelle
RM
D
technologie de production il élimine ses
concurrents et se trouve en situation de monopole
Q
Q
1
et produit alors la quantité Q1 qui égalise son
revenu marginal RM et son coût marginal de
fabrication C1. Son profit est alors (C0-C1)×Q1.
C
Figure 2

0
Si au contraire l'inventeur vend des licences à ses C1
concurrents au prix C
D
0-C1, son profit est (C0-
C1)×Q0.
Q
B
Q
0



L'existence de brevets assurant des rentes monopolistiques peut également engendrer une
course au brevet (rent seeking). Tout comme un concours de pêche à la truite, avec un prix
pour le vainqueur, conduit les participants à puiser plus de poisson dans la rivière que
nécessaire, la perspective de détention d'un titre de propriété industrielle garantissant des
profits provoque un surinvestissement en recherche et développement. Cet effet résulte d'un

71 L'art. L613-11 (a) du Code de la propriété intellectuelle précise que toute personne peut obtenir une licence
obligatoire à l'expiration d'un délai de trois ans après la délivrance d'un brevet si son propriétaire n'a pas
commencé à exploiter l'invention.
72 Art. L613-11 (b) du Code de la propriété intellectuelle.
73 L'art. L613-8 du Code de la propriété intellectuelle indique que les droits attachés à un brevet peuvent faire
l'objet d'une concession de licence d'exploitation
.
49




manque de coordination entre les firmes, qui prennent des décisions sans tenir compte de leur
impact sur les autres firmes. L'Encadré 21 présente un modèle simplifié mettant en évidence
ce phénomène74.


Encadré 21 - La course au brevet

Le phénomène de course au brevet résulte de ce
que l'inventeur remporte un prix, en l'occurrence
un brevet qui lui assure des rentes (l'inventeur
P
Figure 1
peut soit exploiter seul son invention et se
1
comporter alors en monopole, soit vendre des
licences d'exploitation à ses concurrents). La
course au brevet est dommageable : tout comme
un concours de pêche à la truite, avec un prix à la
clef pour le vainqueur, conduit les participants à
puiser plus de poisson dans la rivière que
n
P'(n)
nécessaire pour leur consommation, la perspective
P(n) / n
Figure 2
de détention d'un titre de propriété industrielle
garantissant des profits provoque un sur-
c
investissement en recherche et développement.

Un modèle simple, comme celui présenté ci-
dessous, permet de rendre compte de ce
n*
n'
n
phénomène et de quantifier ses conséquences

néfastes pour la société.

Hypothèses :
désigne la valeur sociale de l'invention. Si l'on suppose que l'inventeur est capable d'exploiter son
invention de manière optimale, c'est-à-dire qu'il est capable de s'approprier la totalité de la valeur de
l'invention, alors est aussi égal au bénéfice que retire le détenteur du brevet de l'invention.
c désigne le coût de R&D que toute firme doit consentir pour se lancer dans la course au brevet.
Si n désigne le nombre de firmes qui s'engagent dans la course au brevet et si P(n) représente la
probabilité que l'invention soit réalisée par au moins une de ces firmes, alors et P(n)/n est la
probabilité pour qu'une firme donnée parmi les n remporte la compétition. La fonction de découverte
P est croissante et concave : plus le nombre de firmes engageant des dépenses de R&D est grand, plus
la probabilité que l'invention soit réalisée est grande, mais lorsque le nombre de firmes est grand,
l'entrée d'une firme supplémentaire a peu d'impact sur la probabilité de découverte (Figure 1).

Résultat :
Le nombre optimal n* de firmes s'engageant dans la course au brevet est déterminé par la
maximisation du gain social (maxn P(n)-nc), ce qui, au premier ordre, s'écrit : P'(n*)=c.
Mais une entreprise ne prend pas en compte les effets de ses décisions sur les autres firmes
(externalités négatives) : elle va s'engager dans la course au brevet si son retour espéré (P(n)/n) est
supérieur au coût de R&D (c). A l'équilibre concurrentiel, le nombre n' de firmes est tel que le profit
espéré de chacune est nulle (P(n')/n'-c=0).
Comme n' > n*, on a surinvestissement en R&D. La perte sociale correspondante, indiquée en grisé
(Figure 2), est :
n'
[ P
(n*) - n*c]- [ P
(n') - n'c]= [c P' (m)]dm
-

n*


74 Le modèle est issu de D.W. Carlton et J.M. Perloff, Modern Industrial Organization.
50




Enfin, la détention par une firme d'un brevet dont les revendications portent non seulement
sur une application particulière de l'invention, mais également sur l'ensemble des applications
possibles, y compris celles n'ayant pas encore été mises au point ni même envisagées peut
empêcher (préempter) l'innovation dans un domaine technologique. De tels brevets sont
d'autant plus dommageables qu'ils renforcent le phénomène de course au brevet.

Si l'on compare le domaine technologique à un espace géologique, l'octroi d'un brevet assorti
de revendications étendues correspond à l'attribution d'une vaste zone de prospection. Cette
zone contient des filons déjà mis en évidence, mais également des gisements encore à
découvrir. Attribuer la zone au premier prospecteur conduit à une réduction de l'efficacité de
la prospection75, à moins que le détenteur du titre de propriété ne consente à négocier avec les
autres prospecteurs qui disposent de techniques d'exploration plus efficientes. De la même
manière, délivrer un brevet de portée étendue empêche les autres inventeurs d'innover sans
négocier avec le titulaire du brevet. Or la négociation peut se révéler impossible en raison du
risque de hold-up (voir Encadré 22).

Il existe donc des effets néfastes liés aux brevets. Certains sont relativement évidents comme
ceux générés par les activités monopolistiques. D'autres le sont moins : effet de course,
préemption des innovations futures, ou encore possibilité de hold-up en raison des
imperfections des marchés. Dès lors, il convient de réduire les effets nuisibles de ce système.


Encadré 22 - Le hold-up sur le marché des licences

Figure 1 :

L'entreprise B peut acheter à l'entreprise A une Figure 1
licence d'exploitation pour un montant 100, et
(1/2)
0
saura, au terme d'une étude de faisabilité (dont le
coût est 100) si l'exploitation commerciale est - 100 - 100
(1/2)
possible ou non. Si l'entreprise B connaît la
300
probabilité de succès (½) et le profit généré par Figure 2
l'exploitation (300), alors elle choisit de ne pas
300 - X
acheter la licence proposée par A (son gain espéré
- 100
étant égal à ­50).
0


Figure 2 :
Si l'entreprise B, avant d'acheter une licence, réalise l'étude de faisabilité, et si celle-ci est concluante,
alors l'entreprise B est prête à acheter une licence pour un prix X (avec X300). Le sachant,
l'entreprise A modifie son prix, et le fixe précisément à 300. Ainsi, il n'est pas dans l'intérêt pour
l'entreprise B d'entreprendre des études préliminaires (quelle que soit l'issue, le gain sera nul).

Notons que ce problème de hold-up, qui survient parce que l'entreprise A peut adopter un
comportement opportuniste, serait évité si les entreprises A et B pouvaient conclure un contrat (i)
fixant un prix pour la licence (par exemple 150), et (ii) obligeant l'entreprise B à acheter cette licence
uniquement en cas de succès de l'étude préliminaire (un tel contrat est en fait ce que l'on appelle en
finance une option). Malheureusement, pour différentes raisons (cadre juridique inadapté,
impossibilité pour A de vérifier la qualité des recherches effectuées par B, etc.), la signature de tels
contrats peut se révéle r impossible ou très coûteuse.

75 E.W. Kitch, dans un article remarqué (The Nature and Function of the Patent System, 1977) qui fonde ce que
l'on appelle aujourd'hui la prospect theory conteste ce raisonnement en indiquant que les brevets permettent de
désigner, dans chaque domaine technologique, un acteur privilégié (un leader) qui sera à même de coordonner
l'innovation dans son domaine.
51




4 - ... à corriger

Les effets nuisibles des brevets peuvent être combattus de diverses manières. Entre autres
façons d'éviter que les incitations offertes à l'inventeur soient excessives, auquel cas les
dommages causés par le brevet risquent de dépasser l'effet positif lié à l'innovation, (i) le
cadre juridique peut être adapté de manière à garantir une concurrence plus intense, en
favorisant ou en obligeant à la concession de licences, (ii) la durée de la protection par brevet
peut être adaptée à chaque invention particulière afin de fournir un niveau adéquat
d'incitation, (iii) la largeur du brevet, c'est-à-dire l'étendue des droits associés à la détention
du titre, peut être ajustée de manière optimale, ce qui passe essentiellement par le respect des
trois critères traditionnels de nouveauté, d'inventivité et d'application industrielle.

Comme indiqué à l'Encadré 20, les distorsions liées aux monopoles générés par le système
de brevets peuvent être corrigées par l'instauration d'un marché de licences
. Le rôle de
la puissance publique peut alors consister à créer un environnement propice à un tel marché,
en facilitant l'accès à l'information et en réduisant les coûts de transaction. Notamment, une
meilleure utilisation d'Internet peut contribuer à l'émergence d'un marché de licences plus
efficient.

Cette action devrait s'accompagner d'un renforcement de la législation réprimant les pratiques
anti-concurrentielles (abus de position dominante, concurrence déloyale) et d'une réactivation
des dispositions législatives sur les licences obligatoires. L'article L613-11 CPI, qui stipule
que toute personne [...] peut obtenir une licence obligatoire [...] si le propriétaire du brevet
n'a pas commercialisé le produit objet du brevet en quantité suffisante pour satisfaire aux
besoins du marché, devrait être entendu largement. Les procédés informatiques pourraient
également être considérés comme des normes ou standards de fait, ce qui imposerait la
concession de licences à prix uniforme et non discriminatoire76.

Un autre moyen souvent avancé pour combattre les effets néfastes du monopole est la
limitation de sa durée. En effet, s'il peut paraître légitime que des médicaments bénéficient
d'une protection de longue durée, en raison des coûts engagés et des délais nécessaires pour
l'obtention d'une autorisation de mise sur le marché, un brevet de plusieurs dizaines d'années
sur un logiciel peut paraître excessif, dans la mesure où le cycle d'innovation dans le secteur
informatique est de l'ordre de trois ans. Un pan entier de la littérature sur les systèmes de
brevets s'intéresse en effet à la question de la durée optimale de protection77, c'est-à-dire la
durée qui, pour chaque invention, réalise le meilleur arbitrage entre incitation à l'innovation et
libre diffusion de l'invention dans l'industrie (voir Encadré 23). Toutefois, ce débat a
aujourd'hui peu d'incidence pratique dans la mesure où d'une part les accords ADPIC78
prévoient une durée minimale de vingt années à compter de la date de dépôt de la demande de
brevet et d'autre part les législations nationales ont uniformisé les durées de protection entre
les différents secteurs industriels et n'accordent ni aux examinateurs des offices de brevets ni
aux juges chargés de se prononcer sur la validité des brevets le pouvoir de moduler la durée
de protection. Dès lors, la proposition de Jeff Bezos, PDG d'Amazon.com, entreprise de vente
sur Internet détentrice du fameux brevet one-click, de limiter la protection à trois ou quatre
ans pour les inventions dans le domaine des nouvelles technologies de l'information et de la
communication, semble peu réaliste.

76 Dans les années 1980, IBM a été contraint de céder des licences à prix forfaitaire à la suite d'un procès anti-
trust.
77 W.D. Nordhaus, 1969, Invention, Growth and Welfare.
78 Art. 33.
52




Encadré 23 - La durée optimale du brevet

Un moyen d'ajuster le niveau d'incitation consiste à jouer sur la durée du brevet. La question de la
durée optimale du brevet a fait l'objet de nombreuses analyses dans la littérature économique, mais
elle est aujourd'hui largement dépassée, dans la mesure où la législation a uniformisé les durées de
protection entre les différents secteurs industriels.

Hypothèses :
On suppose que l'invention consiste en un nouveau procédé de fabrication qui permet d'abaisser le
coût unitaire de production d'un bien de C0 à C1. On note B = C0 - C1 la taille de l'invention.
La demande de biens Q est une fonction décroissante du prix P.
Pour réaliser une invention de taille B, l'entreprise doit consentir un coût de R&D égal à CR&D.

Résultat :
En réalisant une invention de taille B, l'entreprise récupère chaque année des royalties d'un montant
égal à l'aire I (Figure 1), soit B×Q0 (tous les concurrents acquièrent une licence pour bénéficier de la
nouvelle technologie de production). La firme maximise son profit V ­ CR&D (où V est la valeur
présente V du flux de royalties pendant les T années que dure le brevet). La fonction B(T), qui lie la
taille de l'invention réalisée par l'entreprise à la durée du brevet, est croissante, ce qui signifie que plus
la durée de protection par le brevet est longue, plus l'entreprise est incitée à innover.

Tant que le titre de propriété industrielle est valide, le prix du bien est fixé à C0, alors que la
technologie permet une production à coût unitaire C1. La demande s'établit alors à Q0. Au total,
l'économie annuelle en ressources est égale à l'aire I (Figure 1). Lorsque le brevet tombe (à la date T),
le prix chute à C1, et le bénéfice social généré par l'invention est égal à la somme des aires I et II
(Figure 1).

Augmenter la durée de protection incite à l'innovation (si T est plus grand, il en est de même pour B),
ce qui améliore le bien-être (les aires I et II de la Figure 1 sont plus grandes). Mais augmenter la durée
de validité du brevet accroît le délai après lequel la société pourra pleinement profiter de l'innovation
(l'appropriation par le consommateur de l'aire II est retardée d'autant). Il existe une durée optimale T*
de protection (Figure 3). Si T < T*, le niveau d'incitation n'est pas assez élevé. A l'inverse, si T > T*,
le niveau d'incitation est trop élevé, et l'entreprise engage des dépenses de R&D trop importantes
compte tenu de la valeur sociale de l'invention.


P

Figure 1
Gain
C0
Figure 3
I
B
C1
II
D
Q0
Q
Figure 2
I
I+II
Gain
0
T
T*
T






53




La lutte contre les brevets aux revendications excessives dans un domaine technologique
donné passe par une application stricte des critères de nouveauté, d'inventivité et

d'application industrielle, aussi bien au moment de l'examen des demandes de brevets que
lors des recours contentieux.

En effet, les deux premiers critères (nouveauté et inventivité) imposent aux déposants de
rédiger des demandes extrêmement précises, car plus les revendications sont formulées en
termes généraux, plus il est probable (i) que ce qui est décrit et revendiqué ait déjà été réalisé
(échec au test de nouveauté) et (ii) que ce qui est décrit et revendiqué couvre des manières de
faire qui sont évidentes (échec au test d'inventivité). A titre d'illustration, considérons le
brevet sur le télégraphe déposé par Samuel Morse, qui prétendait couvrir toutes les façons
d'utiliser des signaux électromagnétiques pour transmettre des lettres ou symboles à
distances. Une telle revendication était excessive, dans la mesure où elle concernait aussi bien
le sémaphore pourtant inventé antérieurement (la lumière est bien un signal
électromagnétique) que les pratiques centenaires des indiens qui émettaient des signaux de
fumée, considérées comme évidentes. Le brevet fut partiellement annulé par la Cour suprême
des États-Unis à l'occasion du litige O'Reilley vs. Morse (1854).

Ensuite, le droit des brevets en Europe, et notamment en France, réclame que l'invention soit
susceptible d'application industrielle. Cette exigence vise à éviter que ne soient déposés des
brevets sur des concepts ou théories. De tels brevets seraient par nature très larges puisqu'ils
accorderaient un monopole sur l'ensemble des applications possibles des concepts. Maintenir
la concurrence au niveau de la technologie (et non des concepts) suppose que soient
uniquement délivrés des brevets sur des applications techniques. La dérive observée aux
États-Unis s'explique notamment par le fait que la loi n'exige pas que l'objet de la demande
de brevet soit susceptible d'application industrielle, mais que l'invention soit simplement
utile.

Enfin, l'application stricte des critères de la brevetabilité ne va pas nécessairement à
l'encontre de l'intérêt des entreprises qui formulent des demandes de brevets. Robert
Hunt, chercheur à la Banque fédérale de réserve de Philadelphie, a récemment réalisé une
analyse économique du critère d'inventivité79. Le critère d'inventivité provoque deux effets
contradictoires : un effet dynamique (durcir la condition d'inventivité augmente la valeur
économique des brevets accordés) et un effet statique (appliquer le critère de manière plus
stricte réduit la probabilité d'obtention d'un brevet et donc réduit le niveau des incitations à
l'innovation). L'auteur démontre, dans un modèle à temps continu et horizon infini
relativement complexe, que plus le rythme d'innovation dans un secteur industriel est rapide,
plus l'effet dynamique tend à l'emporter sur l'effet statique, ce qui tend à prouver que
l'application stricte du critère d'inventivité est également dans l'intérêt des entreprises.

Pour éviter que les brevets n'accordent des privilèges excessifs, et donc néfastes pour la
collectivité, il est nécessaire de procéder à une application stricte des critères prévus par la loi
et donc de vérifier que chaque demande de brevet porte bien sur une invention nouvelle
susceptible d'application industrielle. Cette vérification incombe (i) aux examinateurs des
office, puis, en cas de litige, (ii) aux juges. Mais ces deux acteurs sont-ils à même de procéder
à une telle vérification ?



79 R. M. Hunt, 1999, Nonobviousness and the incentive to innovate: an economic analysis of intellectual
property reform
.
54




5 - Les offices et les tribunaux sont-ils efficaces ?

Aujourd'hui au niveau européen (OEB) comme aux États-Unis (USPTO) les demandes de
brevets subissent un premier examen au moment du dépôt. Les examinateurs ont le pouvoir de
refuser d'accorder un brevet qu'ils jugent non conforme aux textes. Une fois accordé et
pendant toute sa durée, un brevet peut faire l'objet d'une annulation par les tribunaux. Les
brevets sont donc soumis à une double analyse, celle des offices lors du dépôt initial et celle
des tribunaux lors de contentieux ultérieurs éventuels.

D'où deux questions : (i) les contentieux peuvent-ils efficacement annuler les brevets qui
doivent l'être ? et (ii) les examens peuvent-ils efficacement rejeter les demandes qui doivent
l'être ?

Les tribunaux

Moins de 2 000 brevets sont contestés chaque année aux États-Unis (soit 0,13% !) et, dans la
grande majorité des cas, les parties transigent avant le jugement. Un peu moins de 100 procès
se tiennent chaque année. Ils débouchent pourtant près d'une fois sur deux sur l'annulation
d'un brevet.

Il est très difficile de tirer des conclusions à partir d'événements si peu fréquents. Comme le
fait remarquer Alain Bouviala, membre du conseil d'administration du Syntec Informatique,
tout raisonnement basé sur ces chiffres est du domaine du virtuel. Les interprétation sont en
tout cas contrastées. Pour l'INPI par exemple, c'est le signe de la bonne santé du système,
puisque le besoin de faire annuler des brevets ne se fait pas sentir. Pour Jean-Paul Smets-
Solanes au contraire, c'est l'illustration du coût exorbitant des contentieux, qui se traduit par
une inégalité des entreprises face à la justice : une PME qui voudrait faire annuler le brevet
d'une multinationale n'a pas les moyens de payer le contentieux nécessaire.

La situation américaine mérite néanmoins l'analyse. Il semble en effet que les États-Unis ont
insensiblement migré d'un système de délivrance des brevets où l'USPTO écartait les
mauvais brevets lors du dépôt, à un système de dépôt simple, sans examen sur le fond, où
désormais la tâche d'élimination des mauvais brevets incombe de facto exclusivement aux
entreprises par la voie du contentieux. Cette évolution est en accord avec les principes80 fixés
par l'administration Clinton sur le commerce électronique qui prônent une levée des obstacles
réglementaires pour les entreprises et une autorégulation par le secteur privé. Elle traduit plus
généralement une conviction : la régulation par les agents privés ex post est plus efficace que
l'intervention bureaucratique et discrétionnaire du gouvernement ex ante.

Cette philosophie se révèle en pratique particulièrement inefficace pour ce qui concerne la
gestion du système des brevets : alors que les États-Unis devraient connaître une
recrudescence des procédures judiciaires visant à faire annuler des brevets, force est de
constater au contraire que le nombre de litiges tend à diminuer. Alors qu'en 1980, 1,37 % des
brevets étaient contestés devant la justice américaine, cette proportion est aujourd'hui
descendue à 0,13 %81. Plusieurs raisons à cela :

80 Ces principes, contenus dans le Framework for Global Electronic Commerce publié en juillet 1997, sont les
suivants : (i) The private sector should lead. (ii) Governments should avoid undue restrictions on electronic
commerce...
81 Greg Aharonian, Patent examination system is intellectually corrupt.
55




(i) Les contentieux sont tout d'abord excessivement coûteux. Selon un rapport de
l'Association américaine du droit de la propriété intellectuelle, le coût moyen d'un tel
procès est de 1,5 million de dollars pour chacune des parties en cas d'appel et de
800 000 dollars en cas de transaction82.
(ii) Les contentieux sont dangereux pour toutes les parties. Dans un procès en contrefaçon, si
l'attaqué court le risque de voir sa production interdite par le tribunal, l'attaquant court
un risque tout aussi dissuasif : celui de voir son brevet annulé.
(iii) Se pose enfin un problème dit de passager clandestin. Si plusieurs entreprises ont intérêt
à faire annuler le brevet litigieux d'un concurrent commun, aucune ne va accepter de
supporter pour les autres le coût d'un contentieux, dont toutes au final profiteraient.
Résultat, aucune ne prend l'initiative d'un contentieux pourtant souhaitable.

Ces éléments expliquent que l'on n'observe pas aux États-Unis une recrudescence des
contentieux en contrefaçon de brevets. Hormis quelques cas fortement médiatisés impliquant
des grandes sociétés, la plupart des différends se règlent avant le procès par des transferts
monétaires ou des échanges croisés de licences, ce qui permet aux parties d'économiser les
frais de justice, de limiter les risques encourus, mais ne permet pas d'éliminer les brevets qui
devraient l'être.

La situation de la brevetabilité en Europe est différente. Si l'USPTO, face à la croissance du
nombre de demandes de brevets, a plutôt choisi de diminuer le temps consacré à leur examen,
et, conséquence logique, la qualité de cet examen, l'OEB a préféré allonger ces délais pour
tenter de maintenir la qualité de l'analyse fournie. Par ailleurs, selon des chiffres fournis par la
Commission européenne, les frais de contentieux en Europe demeurent en moyenne
largement inférieurs à ceux observés au États-Unis, de l'ordre de 50 000 EUR par procès.

L'analyse économique des raisons qui font que les contentieux sont peu adaptés à
l'élimination des brevets litigieux reste cependant totalement pertinente.

De plus, l'autorégulation par le secteur privé s'accommode mal d'un autre principe : le
principe de sécurité juridique. Si les tribunaux décident couramment d'annuler des brevets,
les entreprises n'auront plus confiance dans leurs brevets, ce qui réduira d'autant l'incitation à
l'innovation qui est la raison d'être de la brevetabilité.

En définitive il donc est possible de tirer une conclusion malgré tout : les contentieux doivent
rester exceptionnels, c'est-à-dire exceptionnellement nécessaires.

Les offices et l'examen des demandes de brevets

Puisque tout démontre que le recours au contentieux est fondamentalement inefficace en tant
que juge de la validité des brevets, aussi bien dans le domaine du logiciel que dans n'importe
quel autre, il est indispensable de disposer d'un examen des demandes de brevets de qualité.
Si cette doctrine est remise en cause aux États-Unis, elle continue de prévaloir en Europe.
Posons-nous la question : l'examen des demandes de brevets logiciels peut-il être de qualité
aujourd'hui ?


82 American Intellectual Property Law Association, 1999, Report of Economic Survey.
56




L'examen au cas par cas n'est pas infaillible. Le problème rencontré dans le cas des
programmes d'ordinateur est que les critères de nouveauté et de caractère inventif sont
extrêmement difficiles à appréhender.

En premier lieu, l'état de l'art en informatique est mal documenté. De nombreuses techniques
exploitées dans les codes sources et diffusées sous cette forme n'ont jamais été formalisées et
décrites pour elles-mêmes. Pour les informaticiens, un logiciel est souvent une bien meilleure
vitrine qu'une publication. Contrairement aux chimistes, ils ne consignent pas soigneusement
leurs procédés de fabrication. Ce manque ne peut pas être comblé par la consultation du code
source car, même pour un spécialiste chevronné, il est difficile à partir de sa lecture de
retrouver les idées d'origine du programmeur (voir Encadré 24). A grande échelle, faute d'une
convergence des langages informatiques vers les langues naturelles (qui reste un rêve d'auteur
de science fiction), il est inenvisageable de partir des codes existants pour définir l'état de la
technique. Par ailleurs, la brevetabilité étant une pratique récente et balbutiante, la
consultation des bases de données de brevets n'apporte pas non plus une source d'information
fiable. A l'inverse, les manuels et mode d'emploi des programmes qui recèlent souvent des
informations précieuses sont rarement accessibles en ligne et sont donc inutilisables par les
examinateurs.

En second lieu, l'innovation informatique est à la fois trop rapide et trop progressive.
L'examinateur qui se prononce sur une demande de brevet doit raisonner par rapport à l'état de
l'art à l'instant du dépôt et non de l'examen. Il lui faut donc déterminer si l'innovation
revendiquée était inventive dans ce contexte. Parce que les évolutions techniques en
informatique sont extrêmement rapides, très vite diffusées et donc banalisées, parce que les
délais d'examen des demandes s'étalent sur plusieurs années, cet exercice mental est
particulièrement délicat à réaliser. Autre complication : l'innovation est incrémentale, c'est-à-
dire qu'elle progresse par petites touches à partir de ce qui précède. L'incrément est difficile à
repérer et à placer dans le temps. Notons enfin que l'innovation informatique revient souvent à
assembler différents composants existants. Parce que l'idée de cet assemblage n'est pas
immédiate pour l'homme du métier qui pourtant connaît chacun des composants mis en
oeuvre, l'invention peut être réelle, alors que a posteriori elle paraît sans contenu propre.


Encadré 24 - L'analyse de codes de programmes

Lire un code source ne permet pas de remonter simplement aux idées qui en sont à l'origine, et donc
aux innovations qu'il a pu introduire.

Considérons deux exemples de programmes. Le premier est écrit en langage C, le second en langage
Prolog. Tous deux calculent n! (factorielle n) pour n entier naturel quelconque. Pourtant, l'équivalence
ne saute pas aux yeux... Un code de programme n'est pas en soi une description exploitable des
techniques qu'il met en oeuvre.

int fact(int n)
{
int i, f=1;
for(i=2; i<=n; i++) f*=i;
return f;
}

fact(0,1).
fact(X,Y):-U=X-1,fact(U,V),Y=X*V.

57




Bref, parce que l'état de l'art en informatique est mal documenté en comparaison de ce qui
peut exister dans d'autres domaines, parce que l'innovation y est très rapide et essentiellement
incrémentale, la mise en oeuvre des tests de nouveauté et d'inventivité par les examinateurs
des offices est aujourd'hui particulièrement difficile et hasardeuse.

L'extension rapide du champ de la brevetabilité telle qu'elle a pu être observée aux États-Unis
renforce deux risques, non directement liés à la nature du logiciel lui-même, mais plutôt à la
nouveauté du sujet. Le premier est le risque d'une d'incompétence temporaire des offices, qui
pendant une période transitoire n'ont pas véritablement les moyens d'appréhender les
problèmes originaux que cette extension soulève. Ce premier risque en appelle ou en renforce
un second : le risque de capture des offices, c'est-à-dire le risque de voir des offices hésitants
se laisser dicter leur conduite par des industriels ou des experts ­ en clair des lobbies ­ qui
défendent des intérêts qui ne sont pas nécessairement ceux de la collectivité (voir Encadré
25).

De véritables recueils de brevets absurdes se constituent sur Internet, montrant du doigt avec
un malin plaisir les erreurs commises par l'USPTO83 et de l'OEB84. Même si comme le fait
remarquer l'INPI, ces brevets n'ont pour l'essentiel aucune valeur économique, il n'en reste
pas moins qu'ils confirment les difficultés des offices à faire face à des demandes toujours
plus nombreuses.


Encadré 25 - Une capture des offices de brevets ?

Le Corporate Plan 2000 de l'USPTO proclame : the primary mission of the patent business is to help
customers get patents. Ce slogan jette un doute sur les motivations de l'office américain des brevets :
celui-ci est-il au service de l'intérêt général ou au service des entreprises ? En d'autres termes, le
réglementeur a-t-il été capturé par les réglementés ?

Le risque de capture est d'abord présent dans les textes. Ainsi, l'office des brevets, aussi bien aux
États-Unis qu'en France, est officiellement en charge de la définition de la politique en matière de
propriété industrielle. L'INPI a pour mission de prendre toute initiative en vue d'une adaptation
permanente du droit national et international aux besoins des innovateurs et des entreprises (art.
L411-1 du CPI).

Le risque de capture est d'autant plus grand que les offices reçoivent des autorités de tutelle des
instructions visant à réduire les coûts de dépôt des demandes de brevets. Favoriser l'accès des
industries à la protection de la propriété industrielle est louable mais susceptible de conduire à la
délivrance de mauvais brevets. En effet, l'abaissement des coûts de dépôt aboutit à une situation
paradoxale : l'OEB comme l'INPI essuient une perte financière lorsqu'une demande est refusée et
enregistrent un bénéfice lorsqu'elle est acceptée. Il est alors pénalisant pour l'office de bloquer un
brevet, même si celui-ci est mauvais ! Un refus est d'autant plus pénalisant pour l'examinateur et son
office que sa performance est le plus souvent appréciée par le nombre de brevets attribués.

Enfin, certains faits, dont la plupart sont spécifiques aux États-Unis, laissent à penser que le risque de
capture n'est pas uniquement théorique. Ainsi, les examinateurs de l'USPTO reçoivent un bonus
directement indexé sur le nombre de brevets délivrés. De plus, le cursus professionnel standard d'un
examinateur consiste à quitter l'office au bout de quelques années de service pour un grand cabinet de
conseils en propriété industrielle, et il n'est dès lors pas de l'intérêt d'un examinateur désireux de
pantoufler de rejeter les revendications rédigées par un de ces grands cabinets.

83 http://lpf.ai.mit.edu/Patents/abstracts/Abstracts.html
84 http://swpat.ffii.org/vreji/pikta/index.fr.html
58




EN BREF :
· Droit d'auteur et brevet, loin d'être redondants, sont des instruments
complémentaires. Vouloir exclure les logiciels du champ de la brevetabilité au seul
motif qu'ils sont déjà protégés par le droit d'auteur n'est pas un argument recevable.
· Pour C. Shapiro et H. Varian, les droits de propriété intellectuelle ne sont pas
primordiaux dans les nouvelles technologies de l'information et de la
communication. Les entreprises doivent concentrer leurs efforts sur la pénétration
rapide de nouveaux marchés et l'offre de produits et services complémentaires.

· Non seulement les brevets paraissent d'un intérêt limité pour l'essor de ces nouvelles
technologies, mais ils sont porteurs d'effets néfastes puisqu'ils facilitent
l'instauration de monopoles.
· S'il est possible de rejeter les demandes de brevets accordant des monopoles
excessifs, alors le système de brevets est bénéfique pour la collectivité. Le tri entre les
brevets mérités et les brevets néfastes passent essentiellement par l'application
stricte des critères de nouveauté, d'inventivité et d'application industrielle prévus

par la loi.
· Il incombe aux offices et aux juges d'appliquer ces critères. Comme il semble que ni
les premiers ni les seconds ne soient en mesure de les appliquer, il existe plus
d'inconvénients à breveter les logiciels qu'à exclure ceux-ci du champ de la

brevetabilité.
59





60




5
Vers une réforme ?











Dans un contexte où les demandes de brevets logiciels sont examinées de manière
approximative, le bilan économique du brevet logiciel est globalement négatif. Il faut donc
une exemption, c'est-à-dire exclure les logiciels du champ de la brevetabilité. Mais si cette
solution a l'apparence de la simplicité, elle soulève trop de difficultés politiques, juridiques et
pratiques pour être retenue (1).

Une alternative pourrait être de créer un droit spécifique, droit sui generis, pour les logiciels,
sorte de mini-brevet avec des procédures, une durée, une protection et des coûts réduits. Mais
cette proposition, émanant de la France, reste assez abstraite et n'a pas aujourd'hui le soutien
des autres pays européens (2).

Si l'on renonce à modifier le droit sur le fond, il reste à faire en sorte que les offices fassent le
meilleur travail possible. En plus d'efforts conjoncturels, des réformes structurelles doivent
être envisagées (3). Le rôle et les conditions des contentieux relatifs à la brevetabilité peuvent
aussi faire l'objet d'une réflexion (4).

Au delà des problèmes d'appréciation de la nouveauté et de l'inventivité d'une innovation
logicielle, difficultés plus pratiques que théoriques, demeure des questions de fond : quelles
sont les innovations logicielles susceptibles d'application industrielle ? Qu'est-ce qu'un effet
technique ? C'est probablement sur la base de ces interrogations que se fera demain le
véritable tri entre ce qui brevetable et ce qui ne l'est pas (5).
61




1 - Une exemption ?

Si les offices se révèlent incapables, en raison de difficultés propres à l'informatique, de
séparer le bon grain de l'ivraie, c'est-à-dire de rejeter les demandes de brevets pour des
programmes d'ordinateur qui ne satisfont pas aux critères de nouveauté et d'inventivité, et si
la justice n'exerce pas une force de rappel suffisante, alors il est souhaitable d'adopter une
solution radicale : l'exemption de bloc, autrement dit l'exclusion des logiciels du champ de la
brevetabilité.

Cette solution se heurte néanmoins à un certain nombre de difficultés. Ainsi, les
opposants à la brevetabilité des logiciels réclament que l'exemption soit réaffirmée en laissant
l'article 52 de la Convention de Munich inchangé. Or l'interprétation de cet article, on l'a vu
au Chapitre 2, fait l'objet de débats : pour de nombreux juristes, et notamment les conseils en
propriété industrielle et les membres des offices, cet article ne fait pas obstacle à ce que soient
délivrés des brevets sur des logiciels, pour peu que ceux-ci représentent une invention
nouvelle impliquant une activité inventive et susceptible d'application industrielle.

Dès lors, le choix de l'exemption de bloc supposerait une modification de l'article 52
CBE et de l'article L611-10 CPI
. Cette réforme pourrait consister, d'une part, à supprimer le
paragraphe 3 de l'article 52 de la Convention de Munich, qui distingue les programmes
d'ordinateur revendiqués en tant que tels et les programmes d'ordinateur qui ne sont pas
revendiqués en tant que tels, et d'autre part à retirer le terme notamment du paragraphe 2 de
l'article 52, qui peut laisser croire que les domaines énumérés (théories scientifiques,
créations esthétiques, programmes d'ordinateur...) ne constitue qu'une illustration85 du
paragraphe 1 sans portée juridique, et non une liste d'exceptions à la brevetabilité dressée par
les signataires de la Convention (voir Encadré 26). Une telle réforme serait reprise par le
législateur français afin d'harmoniser les dispositions du Code de la propriété intellectuelle et
celles de la Convention de Munich.


Encadré 26 - Proposition de révision de la Convention de Munich

Article 52 : Inventions brevetables
1. Les brevets européens sont délivrés pour les inventions nouvelles impliquant une activité
inventive et susceptibles d'application industrielle.
2. Ne sont pas considérés comme des inventions au sens du paragraphe 1 :
a. les découvertes ainsi que les théories scientifiques et les méthodes mathématiques ;
b. les créations esthétiques ;
c. les plans, principes et méthodes dans l'exercice d'activités intellectuelles, en matière
de jeu ou dans le domaine des activités économiques, ainsi que les programmes
d'ordinateur ;
d. les présentations d'informations.


Là encore, une difficulté surgit : si une telle révision était décidée, encore faudrait-il s'assurer
que le nouvel article 52 est conforme à l'accord ADPIC conclu en 1994 à Marrakech. Or
l'article 27.1 de cet accord stipule que des brevets pourront être obtenus et il sera possible de
jouir de droits de brevet sans discrimination quant au [...] domaine technologique. Une

85 Ce point délicat est abordé au Chapitre 1, Section 3.
62




réforme excluant explicitement les logiciels du champ de la brevetabilité pourrait être
considérée comme un non-respect des règles internationales
, et pourrait conduire un pays
comme les États-Unis à porter plainte auprès de l'Organe de règlement des différends de
l'Organisation mondiale du commerce et éventuellement à procéder à des représailles
commerciales envers les pays signataires de la Convention de Munich.

D'autre part, une éventuelle réforme du Code de la propriété intellectuelle par un vote du
Parlement pourrait n'avoir aucune portée juridique. En effet, l'article 55 de la
Constitution indique que les traités [...] ont [...] une autorité supérieure à celle des lois, et la
Cour de Cassation, suivant en cela une jurisprudence datant de 197586, fait prévaloir la règle
internationale sur la loi, même postérieure87. Saisi d'un recours contre une décision du
directeur de l'Institut national de la propriété industrielle rejetant la demande de brevet au seul
motif que la demande porte sur un programme d'ordinateur, le Tribunal de grande instance
compétent pourrait juger la décision illégale.

Une révision de la Convention de Munich suppose également un relatif consensus entre
les États signataires
. En effet, l'article 172 CBE requiert une majorité des trois quarts pour
toute révision de la Convention. Et la révision doit ensuite s'accompagner d'une ratification
par tous les États. Or les différents pays peuvent avoir des intérêts divergents. A la suite d'une
consultation interne, le Royaume-Uni a déjà fait savoir qu'il ne s'associerait pas à une
éventuelle proposition consistant à revenir sur la pratique de l'Office européen des brevets.
Les pays du sud de l'Europe, et notamment l'Espagne, sont très réticents à l'idée d'une
restriction du champ de la brevetabilité, dans la mesure où les brevets font vivre des milliers
de spécialistes en propriété industrielle et de traducteurs. Peu de demandes de brevets
européens émanent d'entreprises espagnoles. En 1999, 118 brevets européens ont été accordés
à des entreprises ou particuliers d'origine espagnole, ce qui représente 0,33 % des brevets
délivrés (voir Encadré 27). Inversement, une grande majorité de brevets européens désignent
l'Espagne (83 % en 1999), ce qui est une source de profit importante, puisque les brevets
doivent être traduits en espagnol et maintenus en vigueur dans ce pays moyennant le paiement
de taxes annuelles auprès de l'office espagnol. Ainsi, l'Espagne profite grandement du
système européen des brevets et n'a aucun intérêt à limiter le champ de la brevetabilité en
excluant un domaine en pleine expansion.. Enfin, que dire des petits pays comme Monaco et
le Liechtenstein, qui manifestement n'ont aucun intérêt stratégique dans l'affaire, mais qui
pourtant s'opposent à une remise en question des pratiques de l'Office européen des brevets.

Quand bien même la solution de l'exemption de bloc serait adoptée par les pays adhérents à la
Convention sur le brevet européen, quand bien même la révision serait transposée en droit
national et aurait pleine force juridique malgré les dispositions des accords ADPIC, et quand
bien même la révision de l'article 52 CBE ne serait pas contestée auprès de l'OMC, la
nouvelle convention ne clarifierait pas le statut des inventions ayant trait à la production
de biens matériels et dont le coeur inventif est un programme d'ordinateur. Quel serait le
statut vis-à-vis de la brevetabilité des dispositifs de contrôle aériens produits par la société
Thales (voir Chapitre 3) ou encore de procédés tels que le freinage ABS, dans lequel un
ordinateur empêche le blocage des roues ? En somme, l'exemption de bloc risquerait
d'exclure du champ de la brevetabilité toute invention dont un des éléments est un
logiciel, ce qui ne paraît pas raisonnable, d'autant que de plus en plus de procédés
techniques incorporent des programmes d'ordinateur.

86 Cour de Cassation, 24 mai 1975, Société des Cafés Jacques Vabre.
87 Le revirement de jurisprudence du Conseil d'État sur ce point ne date que du 20 octobre 1990, à l'occasion de
l'affaire Nicolo.
63




Encadré 27 - Origine des demandes et pays désignés88






Pays
Origine
Désignation


France
8.41%
97%

Allemagne
20.88%
99%

Royaume-Uni
5.18%
98%

Espagne
0.33%
83%

Italie
3.14%
90%

Portugal
0.04%
73%

Luxembourg
0.13%
71%

Monaco
0.03%
67%

Chypre
0.00%
72%







Enfin, quelle serait l'attitude à adopter face aux milliers de brevets concernant des logiciels
déjà accordés par l'Office européen des brevets ou les offices nationaux ? Une révision de la
Convention de Munich ou la modification des législations nationales ne pourrait avoir pour
effet de rendre nuls ces brevets. Une loi déclarant nuls les brevets accordés sur des logiciels
serait passible de la censure du Conseil constitutionnel, car elle porterait atteinte au droit de
propriété qui a valeur constitutionnelle. Enfin et surtout, une telle solution ne serait pas
acceptable politiquement.

Ainsi, la solution de l'exemption de bloc se heurte à des difficultés aussi bien pratiques que
juridiques et politiques qui font que sa mise en oeuvre est fortement improbable. Il est alors
nécessaire d'étudier des solutions alternatives.


2 - Un droit sui generis ?

Se fondant sur un rapport de Jean-Paul Smets-Solanes89, le Conseil général des mines et le
Conseil général des technologies de l'information proposent d'instaurer pour les inventions
logicielles un droit de propriété industrielle sui generis. Ses principales caractéristiques sont
rappelées dans l'Encadré 28.

La logique d'une telle proposition est indéniable. Le point du départ du raisonnement est le
suivant : dans l'industrie du logiciel la durée du cycle d'innovation est de l'ordre de trois
ans90. Les constantes de temps du secteur sont donc très différentes de celles observées dans
les industries automobiles ou pharmaceutiques par exemple, grandes consommatrices de
brevets. Par conséquent le brevet avec sa protection de vingt ans est totalement inadapté aux
logiciels. Si il doit y avoir un brevet logiciel, cela doit être un brevet court, un mini-brevet.

Mais les accords ADPIC interdisent les discriminations entre différentes technologies.
Autrement dit, un brevet court pour les logiciels n'est pas possible, car non conforme au droit
international. Il faut donc un brevet qui ne dit pas son nom, d'où l'idée d'un droit sui generis.
Il s'agit d'instaurer un titre original d'une durée limitée à trois ou cinq ans, réservé aux
logiciels.


88 Office européen des brevets, 1999, Rapport annuel.
89 J.-P. Smets-Solanes, 2000, Stimuler la concurrence et l'innovation dans la société de l'information.
90 De nombreux auteurs s'accordent sur ce point.
64




Encadré 28 - Proposition des CGM et CGTI91 (extraits)

La mise en chantier d'un droit de propriété industrielle sui generis pour les inventions logicielles doit
être engagée, avec l'objectif d'aboutir dans le délai d'un an.
Le cahier des charges d'un tel droit devrait inclure au minimum les conditions suivantes :
· la réduction à trois ans de la durée du monopole d'exploitation ; un mécanisme de dérogations à
cette durée serait possible, mais de telles dérogations devraient être justifiées et ajustées à
l'importance de l'invention et/ou à sa durée de vie exceptionnelle, et être assujetties à des
conditions supplémentaires telles que l'octroi de licences obligatoires ;
· la réduction de la durée de l'examen par l'office des brevets ;
· le renforcement de l'efficacité de l'examen par l'office des brevets au regard des deux critères de
nouveauté et d'inventivité ;
· la redéfinition des exclusions ; telles que les langages, les interfaces et d'autres composants à
déterminer selon l'avis des experts des divers sous-domaines de l'informatique.


Aujourd'hui la délivrance d'un brevet par l'OEB nécessite quatre à cinq années de
procédures. Un tel délai dans le cas d'un titre d'au plus cinq ans, n'a évidemment aucun sens.
Il est nécessaire de définir des procédures allégées et de réduire la durée de l'examen. Cette
réduction peut se faire soit en réduisant le contenu de l'examen, voire en envisageant une
procédure de dépôt simple, soit en augmentant la productivité des offices. De plus, une
protection révisée à la baisse ne peut être acceptée par les entreprises que dans la mesure où
les coûts qu'elles ont à engager pour l'obtenir sont eux aussi réduits.

Par ailleurs, la présomption de validité92 associée à ce nouveau titre ne peut être qu'inférieure.
Il est en effet peu probable qu'un examen court donne de meilleurs résultats qu'un examen
long. De plus des coûts faibles laissent présager d'une forte croissance du nombre de dossiers
à examiner chaque année. Bref les possibilités de recours doivent elles aussi être étendues et
simplifiées.

Par conséquent, une telle réforme est beaucoup plus complexe et ambitieuse qu'il n'y paraît
de primer abord, et cette proposition, comme la précédente, se heurte à de nombreux
problèmes politiques, juridiques et pratiques. L'essentiel des difficultés soulevées dans le cas
de l'exemption de bloc demeurent.

Ainsi, la question du traitement des brevets logiciels existants n'est pas résolue. Il est peu
probable que des entreprises acceptent de leur plein gré qu'un titre de vingt ans, chèrement
gagné, soit réduit à cinq ans par une décision autoritaire de l'administration. Les risques de
contestation pour violation des accords ADPIC sont encore plus forts dans ce cas. Créer un
droit sui generis pour les inventions logicielles, n'est-ce pas reconnaître implicitement que les
logiciels constituent un domaine technologique ? Sur le plan politique, une unanimité
européenne autour de cette proposition semble tout aussi improbable qu'une décision
d'exemption.


91 Conseil général des mines, Conseil général des technologies de l'information, 2000, Avis sur la brevetabilité
des inventions logicielles.
92 C'est-à-dire la probabilité que le titre délivré recouvre une innovation réelle.
65




L'idée bien française de créer toujours plus de droit est aux antipodes du souhait des
entreprises qui désirent avant tout des règles simples et peu nombreuses. Le parallèle souvent
fait avec l'instauration d'un droit sui generis pour les bases de données nous semble simpliste.
En effet si les européens se sont accordés sur la création de ce droit et ont même emporté
l'adhésion des États-Unis, la situation n'était pas vraiment comparable. Contrairement aux
logiciels, les brevets ne constituaient pas une alternative possible pour la protection des bases
de données. La nuance est de taille !

Par ailleurs, s'il est louable de proposer de réduire les procédures et les coûts d'examen,
encore faut-il expliquer comment et dans quelles proportions.

Enfin, alors que l'exemption exigerait de distinguer les inventions logicielles (non
brevetables) des autres (brevetables), le droit sui generis tel qu'il est proposé requiert lui de
répartir les innovations en non plus deux mais bien trois catégories :
- les inventions logicielles exclues de toute forme de protection (langages, interfaces...),
- les inventions logicielles susceptibles de faire l'objet du nouveau mini-brevet,
- les inventions classiques, c'est-à-dire brevetables.

En définitive, si l'idée d'un droit sui generis est a priori séduisante, elle manque sans aucun
doute de maturité pour convaincre. Plus gênant, elle nous paraît incompatible avec les accords
ADPIC, même si les juristes sont partagés sur ce point.


3 - Une réforme de l'examen ?

En l'absence d'alternatives viables au brevet logiciel, il reste à faire en sorte que les offices
procèdent au meilleur examen possible, puisque nous avons mis en évidence au Chapitre 4
que la qualité des brevets délivrés conditionne l'intérêt économique global du système pour la
société. Or, dans ce même chapitre, nous avons montré que cet examen est aujourd'hui
particulièrement difficile. Les offices n'ont pas la compétence nécessaire, c'est-à-dire ni les
moyens humains, ni les moyens matériels requis pour examiner les demandes de brevets
logiciels dans les meilleures conditions.

D'après l'INPI, les demandes de brevets logiciels ont connu ces dernières années un taux de
croissance à peu près constant de 30 % par an93. Récemment, la médiatisation du débat sur les
brevets logiciels, a conduit de nombreuses PME à poser des demandes, PME pourtant
convaincues il y encore un ou deux ans, que les logiciels n'étaient pas brevetables, ce qui
renforce encore la pression en terme de file d'attente à laquelle l'office doit faire face.

Il faut donc que les offices recrutent du personnel qualifié, disposant d'une double
compétence juridique et informatique, et ce en nombre suffisant. Rappelons qu'une invention
brevetable doit être inventive, c'est-à-dire non immédiate pour l'homme de l'art. On voit mal
comment l'INPI ou l'OEB pourraient répondre à cette question sans faire appels à ces fameux
hommes de l'art. Le recours régulier à des experts peut aussi permettre de renforcer un
personnel permanent en sous-effectif chronique.

Il faut aussi que les offices se dotent de moyens pour juger de la nouveauté d'une invention
logicielle. Cela passe par la construction de bases documentaires à la disposition des

93 Cette croissance tend à s'accélérer.
66




examinateurs. Si dans d'autres domaines technologiques, les bases de brevets définissent
l'état de l'art de façon satisfaisante, ce n'est pas le cas des logiciels.

La mise au point d'outils permettant une meilleure recherche en antériorité, le recrutement et
la formation d'examinateurs dans le but de faire face à la forte croissance du nombre des
demandes de brevets requièrent que soit consenti un effort financier en faveur des offices.

Les offices aussi bien français qu'européen, conscients de l'enjeu et des difficultés qu'ils
rencontrent, travaillent déjà sur de tels projets. Mais la mise à disposition de moyens
techniques et humains permettant aux offices de réaliser des progrès dans la qualité de
l'examen dans le domaine de l'informatique risque de ne pas être suffisante si les incitations
des offices à effectuer des examens de qualité, c'est-à-dire à rejeter les demandes de brevets
formulant des revendications excessives, ne sont pas mises en place parallèlement. Ainsi, la
résolution du problème technique
(la construction des outils améliorant la détermination des
caractères nouveau et inventif d'une invention logicielle) et du problème financier (lié au
coût de ces outils) doit s'accompagner de celle du problème institutionnel (comment faire
en sorte que les offices soient incités à procéder à des examens de qualité ?).

Avant de s'interroger sur les manières d'améliorer la qualité de l'examen et d'inciter les
offices à le faire, encore faut-il que cet examen existe. Or la procédure auprès de l'INPI,
décrite à l'Encadré 6, ne comporte pas d'examen de fond, contrairement aux procédures
auprès des offices britanniques et allemands. Plus précisément, l'INPI procède à
l'établissement d'un rapport de recherche mais ne peut refuser de délivrer un titre sous
prétexte que celui-ci conclut à l'absence d'inventivité. La première mesure consiste alors à
s'interroger sur le bien fondé de cette spécificité française et à établir un véritable
examen, à l'instar des principaux pays de l'OCDE. Une telle réforme nécessiterait un profond
remaniement du Code de la propriété intellectuelle. Une autre solution, plus audacieuse mais
sans doute inéluctable à long terme, consisterait à supprimer le brevet national et à
transformer l'Institut national de la propriété industrielle en chambre d'enregistrement des
demandes de brevets européens (ou communautaires), en fonds documentaires (gestion des
bases de données de brevet, présence régionale) et en prestataire de services (formations
auprès des entreprises et des centres universitaires, sensibilisation du tissu industriel à la
propriété intellectuelle)94. De telles mesures, qui nécessiteraient un large consensus et
l'intervention du Parlement, ne sauraient être prises dans de brefs délais.


Encadré 29 - L'INPI a-t-il intérêt à refuser de délivrer un brevet ?



Demande acceptée
Demande refusée



+
-
+
-


Dépôt
250 F

250 F


Rapport
2 100 F
12 000 F
2 100 F
12 000 F

Délivrance
560 F




Taxes (années 2 à 5)
180 F




Taxes (années 6 à 10)
900 F




Taxes (années 11 à 15)
1 800 F




Taxes (années 16 à 20)
3 500 F











94 Cette solution se heurte, pour des raisons évidentes, aux réticences de l'INPI, mais aussi des conseils en
propriété industrielle. De plus, elle aurait pour inconvénient de supprimer toute politique nationale en matière de
brevets.
67




Inciter l'INPI et l'OEB à rejeter les brevets nuisibles passe en premier lieu par une
redéfinition des modalités de financement de ces offices et par l'inversion des politiques
menées ces dix dernières années. En effet, les politiques françaises et européennes de
l'innovation ont entendu réduire les coûts d'accès des entreprises, et notamment des PME, au
brevet. Les préconisations du Livre vert sur l'innovation (1995), du Livre vert sur le brevet
communautaire et le système des brevets en Europe (1997), tout comme celles du rapport
Lombard (1997) et d'autres rapports officiels insistent sur la nécessité de promouvoir le
brevet par la diminution des coûts d'obtention du titre, qui constituent une source de risque
pour l'entreprise95. Aussi, l'INPI a-t-il abaissé de moitié en janvier 2000 les frais liés à
l'établissement du rapport de recherche et à la délivrance du brevet. Dès lors, ce n'est plus le
demandeur, c'est-à-dire l'utilisateur, qui paie, mais l'office, qui ne récupérera ses coûts
qu'en cas de délivrance effective du brevet, via les redevances annuelles de maintien en
vigueur. Cette situation entraîne deux effets pervers qu'il convient de corriger.

D'une part, du fait du faible coût du brevet, les entreprises ­ qui sont les usagers et les
bénéficiaires du service public des brevets ­ ne sont pas responsabilisées et sont au contraire
incitées à présenter des demandes excessives, voire fantaisistes, dans l'espoir que l'office les
acceptera.

D'autre part, l'office lui-même n'a pas intérêt à refuser une demande de brevet : l'INPI, par
exemple, perçoit 2 100 francs pour l'établissement d'un rapport de recherche qui coûte
environ 12 000 francs (voir Encadré 29). Refuser la demande conduit à une perte nette pour
l'établissement public d'environ 10 000 francs (hors coûts administratifs), alors que l'accepter
procure un flux net positif de 5 000 francs lorsque le brevet est maintenu en vigueur pendant
quinze ans et de 23 000 francs lorsque les redevances annuelles sont acquittées pendant la
période maximale, soit vingt ans. L'INPI est d'autant plus incité à accepter les demandes que
la loi impose à cet organisme de demeurer à l'équilibre budgétaire96. Tous ces éléments
concourent pour que l'abaissement du montant des taxes payables avant délivrance du
titre
(qui représentent le coût d'accès au brevet) conduise à une hausse du nombre des
demandes excessives et à une diminution du nombre de refus de la part de l'INPI.

En l'état actuel des choses, ce sont les brevets acceptés qui financent les brevets refusés.
Responsabiliser les acteurs et améliorer l'efficacité du système des brevets suppose que soient
éliminées ces subventions croisées entre les demandes abusives et les demandes fondées, ce
qui revient à démutualiser le risque de refus. L'utilisateur du système des brevets doit payer
pour le véritable coût qu'engendre sa demande. Pour cela, le refus d'une demande devrait
s'accompagner d'une taxe (par exemple 12 000 francs) permettant à l'INPI de couvrir

ses frais. Cette taxe pourrait croître en cas de récidive, ce qui découragerait les grandes
entreprises de présenter des demandes abusives au kilo.

Une fois disparues les incitations des offices à délivrer des brevets aux revendications
excessives, la qualité de l'examen doit être améliorée. Ceci suppose des moyens financiers,
éventuellement sous forme de subvention de l'État, ce qui requiert une clarification du statut
de l'INPI, et une modification de l'article L411-2 CPI qui impose l'équilibre budgétaire.

95 Le coût d'obtention d'un brevet est source de risque en ce sens que l'entreprise engage des dépenses sans
savoir si le brevet sera accordé ou non. A contrario, les taxes annuelles de maintien en vigueur du brevet ne sont
pas généralement empruntes de ce même caractère risqué, puisque l'entreprise peut à tout instant cesser de payer
ces taxes si la valeur économique du brevet est inférieure à leur montant.
96 L'article L411-2 CPI stipule que les recettes doivent obligatoirement équilibrer toutes les charges de
l'établissement
.
68




Encadré 30 - Propositions de réforme institutionnelle

1. Supprimer le brevet national ou, à défaut, instaurer un véritable examen de fond en France.
2. Responsabiliser les entreprises en pénalisant les demandes abusives.
3. Accorder des crédits supplémentaires aux offices pour leur permettre d'améliorer la qualité de
l'examen.
4. Instaurer une véritable politique de qualité au sein des offices.
5. Fixer des objectifs à l'INPI et à l'OEB en termes de qualité et pas uniquement en termes de
volume.
6. Développer une capacité d'analyse au sein du Ministère de l'industrie.
7. Décharger ou contrôler l'INPI dans son rôle de conseiller du ministre pour les affaires touchant à
la propriété industrielle et de représentant de la France dans les organisations internationales.


Une véritable politique de qualité doit être mise en place au sein des offices : comme dans
toute entreprise industrielle, un département de la qualité, répondant directement au directeur
de l'office et non au chef du département des brevets, doit être institué, avec pour mission
d'établir des indicateurs chiffrés (notamment par l'utilisation de techniques
d'échantillonnage) en termes de qualité des brevets accordés97. Pour promouvoir une telle
politique, on peut imaginer d'indexer une partie des rémunérations des examinateurs sur la
qualité des brevets qu'ils octroient.

Enfin, l'information des tiers au cours de l'examen doit être renforcée. De ce point de vue, le
système européen se distingue très nettement du système américain : l'examinateur de l'INPI
ou de l'OEB n'est pas laissé seul face à l'entreprise qui tente de faire passer sa demande de
brevet, car les tiers peuvent présenter des observations98 ou même s'opposer à la délivrance
du brevet99, ce qui n'est pas le cas aux États-Unis. Permettre aux tiers de s'exprimer avant la
délivrance limite le risque que l'intérêt particulier de l'examinateur dévie de l'intérêt général,
et que, soucieux de ménager ses efforts, ou de faire carrière par la suite dans un grand cabinet
de conseil en propriété industrielle, il ait tendance à satisfaire les demandes qui lui sont faites.

Une réforme dans un sens plus restrictif des modalités d'accès au brevet doit certes
accompagner l'amélioration des outils permettant la recherche en antériorité et l'augmentation
des moyens humains et financiers à la disposition des offices, mais il convient également de
renforcer le contrôle de l'INPI et de l'OEB par la puissance publique et par les acteurs
économiques. Un certain nombre de pistes sont examinées ci-après.

Il est nécessaire de veiller à ce que les autorités de tutelle de l'INPI, en l'occurrence le
Ministère de l'industrie, ne fixent pas des objectifs en termes de volume. Il est
particulièrement inquiétant de ne trouver dans les rapports annuels que publie l'INPI que des
indicateurs de performance en termes de délais de traitement, et de ne pas y voir de mesure de
la qualité. Les autorités publiques doivent prendre conscience que le dynamisme d'un secteur
d'activité ne se mesure pas nécessairement au nombre de brevets déposés chaque année,
contrairement à ce que sous-entendent la plupart des rapports officiels sur les brevets100.

97 Il existe au sein de l'INPI un Service production et qualité, mais celui-ci est subordonné au chef du
Département des brevets, et a pour mission de veiller au respect des délais, de planifier les charges de travail et
de gérer des cellules de soutien, c'est-à-dire de veiller à la satisfaction du client et non à la qualité des brevets.
98 Voir Chapitre 1, Encadré 6.
99 L'article 115 de la Convention de Munich prévoit une procédure dite d'opposition ouverte aux tiers.
100 Ceci est particulièrement vrai du rapport Lombard (Le brevet pour l'innovation).
69




De plus, il paraît nécessaire que le Ministère de l'industrie, et notamment la Direction
générale de l'industrie, des technologies de l'information et des postes (DiGITIP) se dote
d'experts, développe ­ si possible conjointement avec le Ministère de la culture et de la
communication ­ une véritable capacité d'analyse économique en matière de propriété
intellectuelle. Les experts, souvent des juristes convaincus des bienfaits du brevet, sont
concentrés à l'INPI, et sont donc juges et parties. Il est impératif de modifier l'article L411-1
CPI qui confie à l'établissement public le soin de proposer au ministre les réformes et les
adaptations du droit en matière de propriété industrielle. L'INPI étant un producteur, il ne
peut être son propre régulateur et sa propre tutelle
.

De la même façon, il est crucial de décharger l'INPI de son rôle de représentant de la France
dans les organisations internationales ­ et notamment auprès de l'OEB ­ tel que défini par
l'article L411-1 CPI.

Enfin, les conseils d'administration de l'INPI et de l'OEB doivent être modifiés dans leur
composition, afin de laisser plus de place aux représentants des petites et moyennes
entreprises, aux économistes et aux ingénieurs. A l'heure actuelle, ce sont des représentants
des offices nationaux qui siègent au conseil d'administration de l'Office européen des brevets,
tandis que la plupart des membres du conseil d'administration de l'INPI et du Conseil
supérieur de la propriété industrielle sont des juristes spécialisés.


4 - Une réforme du contentieux ?

S'il est possible d'avancer un certain nombre de pistes pour réformer l'examen et
l'organisation institutionnelle, les propositions visant à améliorer l'efficacité du contentieux
dans la chasse aux mauvais brevets sont plus rares.

Nous avons déjà vu au Chapitre 4 que le droit permet théoriquement que soient limitées les
distorsions engendrées par l'instauration de monopoles, puisque la législation prévoit un
dispositif de licences obligatoires.

Nous avons également souligné que les coûts et les délais des procédures judiciaires
entamaient leur efficacité. Il s'agit là d'un problème plus général lié au fonctionnement de la
justice en France, qui doit être considéré comme tel et sur lequel nous ne prétendons pas
avancer de solution101. Notons que la situation en Europe n'est pas aussi dégradée qu'aux
États-Unis : outre-Atlantique, les coûts de justice sont bien plus élevés, les avocats peuvent
être rémunérés au résultat, ce qui contribue à l'essor de l'activité contentieuse même
lorsqu'elle n'est pas justifiée, et le système américain est resté celui du first to invent : a droit
au brevet le premier inventeur et non le premier déposant (first to file) comme en Europe, ce
qui accroît la probabilité de litige102.

Nous nous concentrons dans cette section sur les propositions visant à contrer le phénomène
de passager clandestin mis en évidence au Chapitre 4 : comment faire en sorte que les
entreprises régulent ex post le marché des brevets en portant devant la justice les brevets aux
revendications excessives ?

101 La France compte environ trente mille juges, soit autant qu'au début du vingtième siècle !
102 Il est facile de prouver devant un tribunal que l'on est le premier à avoir déposé la demande de brevet,
puisque sur celle-ci est apposée une date certifiée conforme par l'administration. A l'inverse, prouver que l'on
est effectivement le premier inventeur est sensiblement plus délicat.
70




Encadré 31 - Propositions de réforme du contentieux

1. Inciter par un mécanisme de rémunération les personnes physiques et morales à contester et à
obtenir l'annulation des brevets abusifs.
2. Pénaliser la détention indue d'un titre de propriété intellectuelle.
3. Instaurer un fond chargé de détecter et d'attaquer les brevets abusifs.
4. Appliquer l'article L613-26 CPI qui permet au ministère public d'agir d'office en nullité d'un
brevet d'invention.


Une première méthode consisterait à instaurer un mécanisme de rémunération pour les
personnes (morales ou physiques) portant à la connaissance des juges des brevets
abusivement délivrés et permettant leur annulation. Ce système incitatif, qui rappelle l'époque
du Far West où la tête des hors-la-loi était mise à prix, paraît peu conforme à la tradition
juridique française. Pourtant, il permettrait une saine régulation du marché. Il permettrait
également de décourager les entreprises de formuler des demandes abusives, puisqu'une
annulation après délivrance serait sanctionnée.

Une solution plus audacieuse serait de pénaliser (c'est-à-dire de transformer en délit) la
détention indue d'un titre de propriété intellectuelle, sauf cas de bonne foi, tout comme la
détention de substances narcotiques constitue un délit. Cette solution aurait un caractère
d'autant plus dissuasif que la responsabilité pénale des personnes morales a récemment été
consacrée par le droit103.

Au cas où les propositions formulées ci-dessus se heurteraient à des difficultés, il serait
souhaitable de réfléchir à l'instauration d'un fonds, financé par les entreprises utilisatrices du
système des brevets, dont la vocation serait d'identifier les brevets abusifs et d'intenter des
actions en annulation devant la justice. Cette mutualisation permettrait à coup sûr de résoudre
le problème de passager clandestin, mais ne constituerait en rien une désincitation au dépôt de
mauvais brevets.

Enfin, rappelons que le droit actuel contient lui-même une solution : le ministère public est,
par les dispositions de l'article L613-26 CPI, habilité à agir d'office en nullité d'un brevet
d'invention. Il revient au parquet, qui représente les intérêts de la société, de détecter les
mauvais brevets et d'agir en vue d'obtenir leur annulation. Remarquons qu'il s'agit là d'une
curiosité juridique : le procès civil est en principe voué à trancher des litiges entre des parties,
et le parquet n'y joue d'autre rôle que de déposer les conclusions104. Cet article du Code de la
propriété intellectuelle est peu utilisé en pratique. Il revient dès lors au Garde des sceaux,
qui définit les orientations générales de la politique pénale, d'adresser des instructions

claires aux magistrats du parquet afin que ceux-ci agissent en nullité contre les brevets
abusifs, conformément aux dispositions de l'article L613-26 CPI.


103 La responsabilité pénale des personnes morales, admise dans l'ancien droit, n'avait pas été reprise dans le
Code pénal de 1810, mais elle a été restaurée en 1994 à l'occasion de la promulgation du Nouveau code pénal
(art. L121-2).
104 Il existe quelques cas similaires : le ministère public peut se porter demandeur pour s'opposer à un mariage
blanc, obtenir le retrait de l'autorité parentale...
71




5 - Une doctrine de la technicité adaptée au logiciel ?

L'évaluation de la nouveauté et de l'inventivité des innovations logicielles est difficile. Les
offices le reconnaissent. Pourtant le principe est clair : est nouveau ce qui n'a jamais été
publié (divulgué) auparavant105, est inventif ce qui n'est pas évident pour l'homme de l'art.
Ces définitions font l'unanimité. C'est dans la mise en oeuvre, c'est-à-dire l'examen au cas par
cas, que les problèmes et les controverses surgissent. L'USPTO a ainsi récemment
considéré106 que l'idée de gérer un stock par informatique était en 1998 nouvelle et inventive.
Cette décision qui semble farfelue contribue sans aucun doute à discréditer un peu plus
l'office américain des brevets ; elle ne remet cependant pas en cause les critères eux-mêmes,
dont nous avons déjà montré la justification économique et sociale (voir Chapitre 4). Elle ne
suscite pas non plus de débat sur le sens à donner à ces conditions. Les opposants à la
brevetabilité des logiciels ne les contestent pas. Ils dénoncent au contraire un manque de
sérieux manifeste des offices dans leurs appréciations.

Mais l'inventivité et la nouveauté ne sont pas les seuls critères de la brevetabilité (voir
Chapitre 1, Section 2). En Europe sont brevetables les inventions [...] susceptibles
d'application industrielle107. Cette dernière condition, comme les précédentes, s'oppose à la
délivrance de brevets présentant des revendications excessives, c'est-à-dire accordant à leurs
détenteurs des droits disproportionnés par rapport à leur contribution. Mais elle soulève une
difficulté plus profonde. En effet, avant de pouvoir juger de la susceptibilité d'application
industrielle d'une invention, encore faut-il avoir défini ce qu'est une application industrielle !

Par ailleurs le Code de la propriété intellectuelle, comme le droit européen ou les accords
ADPIC, précisent à l'aide de critères positifs et négatifs quelles sont parmi les inventions
celles qui peuvent faire l'objet d'un brevet. Ils n'expliquent pas pour autant ce qu'est une
invention (brevetable ou non). Bref, indépendamment des conditions bien comprises de
nouveauté et d'inventivité, la notion d'invention susceptible d'application industrielle laisse
une large place à l'interprétation des offices et des tribunaux.

Pour la chambre des recours de l'OEB : une invention brevetable108 doit avoir un caractère
technique ou un effet technique. Plus précisément elle doit se présenter comme une solution
technique à une problème technique. D'une part, le déposant doit décrire le problème
technique qu'il prétend résoudre à l'aide de son invention ; d'autre part, il obtient un droit
exclusif portant uniquement sur la solution technique proposée, ce qui n'interdit pas à d'autres
de breveter et exploiter des solutions alternatives. Reste à savoir ce qu'est un caractère
technique, un effet technique, un problème technique ou encore une solution technique.
Donner un sens à ces termes c'est adopter une doctrine de la technicité.

En plus des questions soulevées par l'examen de la nouveauté et de l'inventivité des
demandes de brevets, que nous avons largement évoquées ci-avant, il faut donc réfléchir à cet
autre aspect du problème : quels sont les logiciels présentant un effet technique et susceptibles
d'application industrielle ?

Il ne fait aucun doute que la réponse adoptée outre-Atlantique ­ tout logiciel présente un effet
technique par le simple fait de son exécution sur un ordinateur ­ n'est pas satisfaisante.

105 Exception faite des expositions internationales (voir Note de bas de page n°5).
106 Brevet US6188991, déposé le 1er mai 1998, délivré le 13 février 2001.
107 Art. L611-10 CPI.
108 En plus d'être nouvelle et d'impliquer une activité inventive.
72




Cette question a été largement négligée jusqu'à aujourd'hui. Pour les tenants de la
brevetabilité des logiciels, admettre ce débat revenait à reconnaître implicitement l'existence
d'une difficulté dans l'application du droit des brevets aux logiciels, ce qu'ils ont longtemps ­
toujours ? ­ refusé. Pour les opposants à la brevetabilité des logiciels, considérer la question
signifiait accepter la possibilité de brevets pour certains logiciels, autrement dit, faire entrer le
loup dans la bergerie. Il était beaucoup plus simple pour tout le monde de s'invectiver sur le
bien fondé de tel ou tel brevet ou encore d'affirmer ou démentir un risque d'américanisation
du système européen des brevets.

Cette question est importante. L'idée de distinguer d'une part des programmes d'ordinateur
développés dans le but d'une application industrielle précise ­ brevetables ­ de programmes à
portée large, c'est-à-dire non spécifiques à un problème technique particulier ­ non
brevetables ­ est séduisante. Intuitivement au moins, il paraît possible de tracer une ligne de
démarcation entre des systèmes informatiques industriels complexes à forte valeur ajoutée et
des algorithmes fondamentaux susceptibles d'être mis à contribution partout et par tous.

Faut-il accepter des brevets sur les logiciels embarqués ­ logiciels utilisés dans les téléphones
portables ou les voitures par exemple ­ et refuser de breveter les logiciels pour ordinateurs ?
En effet, programmer l'ABS d'une voiture est un véritable sujet industriel, alors que
programmer un ordinateur fait partie de la vie courante109. Est-ce que cela a un sens ?

Faut-il accepter les brevets sur les programmes destinés à un public particulier ­ les
entreprises ? ­ et refuser les brevets sur les programmes que chacun est susceptible d'utiliser
chez soi ­ traitements de texte, jeux, etc. ? Est-ce que cela a sens ?

Comme le montre ces quelques propositions, vouloir donner une réponse concrète et précise à
cette question n'est certainement pas simple. Il est clair cependant que ce n'est pas à partir des
critères de nouveauté et d'inventivité qu'il est possible d'introduire une telle dichotomie et
satisfaire à la fois les entreprises qui réclament des brevets sur les systèmes qu'ils développent
et où, de plus en plus, des composants logiciels remplacent des éléments matériels, et ceux qui
craignent de voir ces brevets limiter leur liberté d'expression en leur interdisant d'utiliser des
constructions informatiques de base110, de même nature que les méthodes mathématiques, qui
elles sont explicitement exclues du champ de la brevetabilité.

Bref, cette question mérite un véritable débat, qui seul aujourd'hui semble offrir la possibilité
d'une solution pacifique et nuancée à la crise.

109 Enfin presque...
110 Constructions informatiques de base déjà connues ou encore à inventer !
73




EN BREF :
· Malgré la controverse sur l'intérêt économique des brevets logiciels, il est trop tard
pour décider d'exclure les logiciels du champ de la brevetabilité.
· L'instauration d'un droit sui generis soulève plus de difficultés et recueille moins de
soutien qu'une exemption totale.
· Les offices doivent mettre en oeuvre des programmes spécifiques pour développer les
compétences et les outils nécessaires à une analyse satisfaisante des demandes de
brevets logiciels.
· Les offices ont non seulement besoin de moyens mais aussi de réforme structurelles
pour promouvoir une indépendance et une transparence réelle et incontestable.
· Il faut un large débat sur la doctrine de la technicité adaptée aux logiciels, c'est-à-
dire répondre à la question : quels sont les logiciels présentant un effet technique et
susceptibles d'application industrielle ?
74





Conclusion












Le brevet résulte d'un contrat social entre la société et l'inventeur. Ce dernier se voit
reconnaître un droit exclusif d'exploitation pendant vingt ans. L'invention, qui tombe dans le
domaine public à échéance de ce droit, bénéficie à la société toute entière. Pour éviter que ne
soit accordé à l'inventeur un privilège indu au détriment de la société, la loi et les conventions
internationales tracent, non sans difficultés, une ligne de partage entre ce qui est brevetable et
ce qui ne l'est pas.

Depuis 1984 en France, la protection juridique des logiciels est assurée par le droit d'auteur.
Les programmes d'ordinateur en tant que tels sont explicitement exclus du champ de la
brevetabilité (article 52 CBE). Dans un premier temps, les offices refusaient de délivrer un
brevet dès lors que ses revendications mentionnaient les termes de logiciel ou programme
d'ordinateur. Mais cette exclusion a subi une atténuation progressive. Dans un second temps
les offices ont accepté des brevets sur des ensembles matériel et logiciel. Aujourd'hui les
offices accordent des brevets sur des logiciels dès lors que ceux-ci ont un effet technique.

Cette lente évolution de la jurisprudence, l'ambiguïté de l'expression programme en tant que
tel, ont conduit à une situation désastreuse, une majorité d'entreprises ne comprenant pas le
système de protection juridique des logiciels. La Commission européenne a souhaité y mettre
bon ordre, en adoptant une position proche de l'Office européen des brevets, favorable aux
brevets logiciels. Elle s'est heurtée dans sa démarche à une forte opposition des défenseurs du
logiciel libre qui avancent le risque d'une dictature des grands groupes, de la disparition des
développeurs indépendants, et prophétisent la privatisation des idées.

Droit d'auteur et brevet, loin d'être redondants, sont des instruments complémentaires.
Néanmoins l'intérêt économique du brevet logiciel n'est pas démontré, ce qu'illustre le succès
d'entreprises qui soustraient volontairement leurs logiciels à toute démarche de protection au
titre de la propriété industrielle. De plus, les offices éprouvent de véritables difficultés à juger
de la nouveauté et de l'inventivité des demandes de brevets logiciels. Bref, affirmer que les
brevets logiciels ont plus d'inconvénients que d'avantages n'est pas déraisonnable.

Faut-il pour autant réaffirmer une exclusion démentie depuis longtemps par les faits ? Nous
ne le pensons pas. Cette solution se heurte à des difficultés aussi bien pratiques que juridiques
et politiques qui font que sa mise en oeuvre est fortement improbable. Faut-il instaurer un droit
75




spécifique pour les logiciels ­ droit sui generis ? Cette option ne nous convainc pas plus.
Multiplier les titres de propriété intellectuelle n'est certainement pas de nature à clarifier la
situation pour les entreprises. Il y aura donc des brevets logiciels.

La polémique entre partisans et opposants aux brevets logiciels s'est longtemps focalisé sur la
capacité des offices à évaluer la nouveauté et l'inventivité des logiciels. Le problème est réel.
La solution ne peut se borner à une allocation supplémentaire de moyens (matériels et
humains) à des offices qui ne présentent ni des garanties d'indépendance, ni une transparence
suffisante pour pouvoir prétendre faire taire les critiques. Des réformes structurelles sont
nécessaires.

Maintenant que l'existence de brevets logiciels semble acquise d'une part, et qu'il demeure
d'autre part que les méthodes mathématiques et les algorithmes qui en sont directement issus
doivent rester exclus du champ de la brevetabilité, il faut trouver le moyen de distinguer les
logiciels brevetables des logiciels non brevetables. Les outils pour ce faire, c'est-à-dire les
critères, existent déjà. Reste à leur donner un sens : qu'est-ce qu'un effet technique ou une
application industrielle pour un logiciel ?

Il est indispensable que les universitaires et les entreprises élaborent en collaboration avec les
offices et les spécialistes de la propriété industrielle une doctrine de la technicité adaptée à cet
objet bizarre qu'on appelle logiciel.

76




Annexe 1
Personnes rencontrées










77




78




Personnes rencontrées entre septembre 2000 et juin 2001

J.-M. Yolin
Conseil général des mines
H.
Renon
Conseil général des mines
G.
Lefranc
Thales
A.
de la Tour
Syntec Informatique
A.
Bouviala
Adonix
F.
Bastok
MandrakeSoft
Th.
Breton
Thomson Multimédia
M.
Planche
INPI
D.
Deberdt
INPI
P.
Breese
Cabinet Breese & Majerowicz
F.
Claireau
SGCI
A.
Howard
DG Marché intérieur, Commission européenne
N.
de Saint Etienne
NetValue
B.
Formery
STSI, DiGITIP
M.
Cotte
SIM, DiGITIP
E.
Neuville
STSI, DiGITIP
G.
Petit
SIQ, DiGITIP
D.
Schwarz
Secrétariat d'État à l'industrie
G.
Postel-Vinay
OSI, DiGITIP
J.-P. Smets-Solanes
Aful
B.
Lang
Aful
J.-L. Farat
Maximiles
Ph.
Cadre
INPI
G.
Guery
INPI
A.
Lebkiri
INPI
79





80




Annexe 2
Bibliographie











81




82




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